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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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22 février 2023

MARIKO - Chapitre V - Douleurs d'Eros

 

CHAPITRE CINQ : Douleurs d’Eros

                                                            Est-il amour

                                                            Sans l’ombre de la mort ? 

                                                                

 

 

Plusieurs semaines passèrent. Ils se voyaient régulièrement, veillant toutefois à maintenir un écart suffisant entre les rencontres. Il ne fallait rien précipiter. Ils avaient tous deux une conscience aiguë des risques et des impasses de ce qu’on appelle l’amour. Mais était-il question d’amour ?

Cette fois-là Antonio lui proposa de venir chez lui. Il avait nettoyé son appartement, rangé ses livres et son linge, acheté des vivres et du vin, décoré le salon. Dans la plus grande simplicité. Un ménage de célibataire.
Elle vint à l’heure, fraîche et pimpante, les cheveux dénoués flottant autour des épaules. Antonio sentit le désir, dont il avait oublié la morsure depuis longtemps, le saisir au plus vif, dans le cœur et le ventre. Ils s’enlacèrent, et, se penchant en avant, leurs lèvres, pour la première fois, timidement se frôlèrent.

La gêne disparut lorsqu’il lui fit la présentation de ses livres, peu nombreux, mais délicatement choisis. Puis la soirée se déroula de la manière la plus classique : apéritif, repas d’ambiance, échanges d’impressions, littérature, musique. Ils savaient tous les deux qu’une tout autre épreuve les attendait, dans cette chambre à côté, une autre vérité dont ils ne pouvaient rien savoir tant qu’ils ne l’auraient pas affrontée.

Antonio lui prit la main, et lui dit simplement : « venez-vous ? ». Ils entrèrent et se déshabillèrent l’un l’autre. Puis couchés côte à côte, ils restèrent un bon moment immobiles, dans l’attente, l’incertitude, espérant le retour du désir. Ils étaient comme des jouvenceaux timides, mais avec beaucoup d’années en plus qui les avaient meurtris tous deux. Difficile, dans ces conditions, de jouer les amants fiévreux et passionnés ! Mais, posant sa main sur le ventre nu de Mariko, Antonio sentit, à son contact, revenir, impérieuse, souveraine, une bouffée de désir. C’est tout son corps, oui, tout son corps qu’il voulait prendre, saisir, malaxer, incorporer.

Il caressait ses épaules, son cou, ses seins, son ventre, calmement mais profondément. Mariko l’embrassait longuement, jouant de la langue sur ses lèvres entrouvertes et sous les caresses gémissait comme un petit chat. A présent, retrouvant les gestes familiers de l’amour, ils pouvaient se laisser aller l’un à l’autre sans réserve.  Des doigts de la main gauche Antonio entourait et agaçait les lèvres du sexe féminin, mais quand il entreprit d’y glisser un doigt Mariko se raidit, s’écarta : « Non, pas ça, je ne peux pas ». Antonio crut qu’elle voulait tout autre chose, et se coucha sur elle pour la pénétrer. « Non, excuse-moi, je ne peux pas. Je ne veux pas ». Antonio ne comprenait plus rien, se demandant s’il avait raté quelque chose, s’il avait été maladroit, trop pressé, ou si le problème venait d’elle, si elle se moquait de lui, jouant les effarouchées après l’avoir provoqué et encouragé. Il s’était laissé glisser de côté, sur le dos, le sexe en berne, évidemment. « Ne te fâche pas, dit-elle, tu n’y es pour rien. C’est moi, moi seule qui suis fautive. Je voulais vraiment, j’en avais très envie, plus que jamais. J’espérais qu’avec toi tout pourrait changer, revenir à la normale. C’est raté. Je t’expliquerai un autre jour. Allez ! Laisse-toi aller, détends-toi. Ne pense à rien, je m’occupe de tout ». Elle se pencha sur lui et de la pointe de la langue humecta le bout de son pénis, qui se redressa, se durcit, s’enfla comme aux beaux jours de la jeunesse, puis, de la main elle imprima un mouvement souple, savamment irrégulier qui l’amena bientôt au spasme final.

A nouveau ils étaient couchés côte à côte, silencieux. Antonio, dans sa tête, récapitulait les éléments singuliers qu’il avait observé : Mariko boitait, il ne savait pas si c’était une infirmité congénitale ou la conséquence de sévices qu’elle aurait subis ; Mariko avait sur son épaule (il l’avait remarqué en la déshabillant mais s’était abstenu de tout commentaire) des marques boursouflées, longues de plusieurs centimètres qui évoquaient des coups de ceinture ou de fouet – mais cela pouvait être tout autre chose) ; Mariko avait prétendu avoir le désir de faire l’amour avec lui, mais n’avait pu accepter aucune pénétration, ni du sexe ni du doigt – disant en substance : je voudrais bien mais je ne peux pas. Si l’on met côte à côte tous ces éléments, se dessine le portrait d’une femme profondément perturbée, vraisemblablement violentée ou violée, qui aimerait pouvoir aimer, mais dont l’obsession majeure, qui emporte tout le reste, est de se protéger, de maintenir autour d’elle une muraille infranchissable. Il ne pouvait lui en vouloir. Dans des circonstances semblables qu’aurait-il pu faire, lui, si ce n’est la même chose ?

« Antonio, je t’en prie, ne sois pas fâché contre moi. Sincèrement je voulais que tu viennes en moi, mais c’est plus fort que moi. C’est comme un mur de béton. Tu n’y es pour rien. Tu es un homme merveilleux. Tu comprends, j’ai subi des choses affreuses, il me faudra beaucoup de temps pour guérir. Je t’en prie sois patient, reste avec moi, ensemble nous pourrons être heureux, si tu le veux ».

« Etre heureux ? Pour y parvenir il faudrait lever ce mur de béton, ou le transpercer ou le dissoudre dans la chaux. Je ne sais pas comment on peut faire. Mais je suis là, je continue à être là. La seule chose que tu puisses faire, me semble-t-il, c’est de continuer à parler ».

Tout le temps de cette scène d’intimité ils s’étaient tutoyés, ce qu’ils n’avaient jamais fait auparavant. En sortant de la chambre ils revinrent tout naturellement au vouvoiement. Ni l’un ni l’autre ne savait pourquoi. De même qu’ils ne savaient pas s’il y aurait encore une relation charnelle à l’avenir. La seule certitude était qu’ils allaient continuer à se voir.

Elle reprit : « Il faut que je vous dise… Je ne puis révéler ce qui s’est passé, ce serait trop dangereux, pour vous et pour moi. Si je suis encore en vie c’est parce que je n’en parle à personne. Je ne veux pas vous causer du tort, mais croyez-moi, je brûle de vous en dire davantage, mais pour le moment c’est impossible »

« Pour le moment ? Que dois-je en penser ? A l’avenir peut-être, si nous avons un avenir ! »

Attendre, attendre encore ! Antonio ne pouvait se cacher plus longtemps sa déception. Au fond, que savait-il d’elle ? Bien peu de choses. Il revit cette scène étonnante où après avoir manifesté clairement son désir elle lui refusait l’accès à son intimité. Certes la séquence qui suivit, l’attention délicate qu’elle mettait à lui dispenser une délicieuse gâterie, tout cela était délectable mais ne constituait en somme qu’un lot de consolation. Lui avait espéré tout autre chose : exploser dans son ventre comme un obus, exploser avec elle dans l’infini !

Pour le moment il fallait en rester là. Il l’accompagna sur le chemin du retour. Ils allaient lentement, une certaine tristesse, un tenace sentiment d’irrésolution leur pesaient sur le cœur. Ils s’étreignirent à la porte de l’immeuble, elle disparut.

Antonio, à nouveau, était seul. Il regagna rapidement son logis, se déshabilla, but un dernier verre et se coucha dans son lit tout imprégné encore des moiteurs et des odeurs de leurs corps.

Cette nuit-là il rêva, si fort, si profond qu’il s’en souvenait au réveil. C’était un de ces rêves sans action, sans décor, sans personnages, un rêve quasi immobile, silencieux et insistant qui semblait porter un message essentiel, un de ces messages que ne produit jamais la conscience éveillée, qui ne peut émerger que des couches les plus profondes de l’inconscient. Tout le matériau consistait dans l’image d’un objet long, creux, un peu comme un tube, mais beaucoup plus grand, plus long qu’un tube, une sorte de colonne érigée, aux dimensions impressionnantes, mais creuse, vide – sans que l’on sût à quoi elle se rapportait ni à quoi elle servait. A sa base l’objet était largement ouvert, comme la  circularité d’un couvercle, puis il s’élevait d’un seul tenant vers le haut, où il se refermait en demi-cercle. Dans le rêve toujours, ou plutôt dans cette demie-conscience somnolente où le rêveur perçoit et examine son propre rêve, Antonio comprenait que cette figure énigmatique présentait le symbole d’une certaine recherche personnelle, comme un oracle sans parole qui dessinait un chemin. A présent il imaginait qu’il gravissait l’intérieur de la « colonne » en tournant et montant le long de la paroi, espérant déboucher par le haut – mais le haut est fermé ! On peut monter et descendre à l’envi en tournant le long de la paroi, mais on ne peut sortir, sauf à ramper vers le bas et se glisser hors. Antonio se dit : « c’est le yoga du vagin », et sur le moment cela lui semblait évident. Après tout, pour l’homme comme pour la femme, il existe une dimension d’intériorité pour laquelle seules les suggestives images sexuelles sont congruentes.

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