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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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6 janvier 2024

DESIR de SAPPHO - poésie 6

 

 

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                                                    Guy AMEDE KARL

 

               

                                                        DESIR DE SAPPHO

 

 

SAPPHO, une réputation sulfureuse, un symbole de la souveraine liberté du dire et du désir, avant tout une immense poétesse. Défrichant les textes conservés j'ai voulu rendre à sa parole tout son tranchant, sa chair et son pathos, dans une version fidèle à sa métrique, à sa cadence si particulière. D'où une composition qui conserve la forme de l'antique, en serrant au plus près son texte haletant et vibrant. Dans une seconde partie je m'autoriserai des poèmes directement inspirés par ses fragments mutilés, avec de ci de là, des emprunts et des innovations personnelles, au plus près de sa vérité singulière.

 

OUVERTURE 

 

Pourquoi cet engouement pour la poésie de Sappho? Pourquoi ce désir de retravailler cette poésie, pour nous si lointaine en apparence, si classique? Quel est donc ce charme, cette "charis" qui émane de ces textes pourtant difficiles, qui a séduit tant de lecteurs et de poètes à travers vingt cinq siècles? Et surtout, en quoi, moi, lecteur et poète, je me sens si proche, à la fois de la personne et de l'oeuvre?

Poétesse du désir, bien avant tous les autres, totalement, viscéralement, Sappho nous laisse des témoignages troublants sur son ardeur, sa passion, ses déboires et ses joies dans une langue riche et imagée, toujours sincère et directe. Elle cultive son amour comme un jardinier de la volupté, toujours sensible, toujours charnelle, en nous communiquant un enthousiasme divin pour la beauté "miroitante" de ces jeunes filles "douces comme le miel", parfumées de roses, au teint de lys, à la fraîcheur de rosée, sans se lasser jamais de désirer encore et toujours, jusque dans leur départ inévitable pour la vie d'épousée. Car notre poétesse était l'éducatrice de ces nobles jouvencelles qui, auprès d'elle, s'initiaient à la danse, à la musique, à la poésie, à la culture la plus raffinée, et peut-être, - mais qu'en savons-nous -, aux prémices savantes de l'Eros.

Et surtout, c'est Aphrodite qui est incontestablement la matrice, le "trône rutilant" de cette étrange école du plaisir et de l'art. Sans doute Sappho en était-elle la prêtresse, fidèle, enthousiaste et inspirée. A chaque poème, de manière directe ou allusive, c'est Aphrodite qui impose ce furieux et doux désir, toujours renaissant, intarissable. Dans cette alliance entre la sublime déesse et la poétesse il est une sorte d'ardeur, de terreur aussi, d'effroi, et d'abandon : c'est que l'image de la déesse est parfaitement et constamment ambiguë. Aphrodite fait jaillir le désir, contre notre volonté même, fait "rôtir" le "thymos", dans l'attente fiévreuse, l'espoir fou, la crainte, le tremblement, la pâleur et jusque dans la pâmoison. Là dessus les textes sont sans équivoque. Souffrance, allégresse et jouissance, volupté sans remords, déception cruelle, "nausées" et "peines sans nombre", en toutes ces afflictions et affections Sappho reconnaît l'ouvrage immortel d'Aphrodite, en qui elle remet totalement son destin. Les plaintes, innombrables, adressées à ses jeunes aimées, ses joies et ses souffrances, la grande douleur qui la ravage, jamais ne  visent à contester les actions de la déesse.  Partout et toujours Sappho clame son irrévocable fidélité, sa dévotion sans faille, décidée à souffrir mille morts pour son amour, qui est sa vie même.

Sappho laisse un nom : Lesbos, dont on sait les occurrences. On sait moins qu'elle était mariée, mère d'une fille, et peut-être tout à fait fidèle à son époux, du moins selon les canons ordinaires de l'hétérosexualité. Mais clairement elle est d'une bisexualité éclatante, affichée, incontestable. Nous ne saurons sans doute jamais rien de sérieux sur ses relations érotiques avec les filles de son bocage, mais clairement elle les désire sans frein ni honte, les aime d'un amour total, où le corps et le coeur sont totalement engagés. Ce qui nous confond, aujourd'hui encore, dans notre réputée et fallacieuse licence sexuelle, c'est l'ingénuité, la noblesse et la véracité de ce désir, simple et pur, d'une candeur et franchise enfantines. Pour elle, en elle c'est la beauté qui fait loi, et la beauté est toujours, en dernier lieu, celle de la déesse. En toutes choses, en elle-même et dans les autres, Sappho est servante d'Aphrodite.

Je ne sais si dans toute l'histoire future  on peut trouver encore pareille véracité. Le désir sans la honte, la volupté sans la culpabilité, la joie des corps sans le péché, la beauté sans la moralité, - et avec cela la splendeur d'une poésie frémissante, voilà qui fait, interminablement, miraculeusement, rêver!

Mais vous, me dira-t-on, que venez vous faire ici? Et dans un jardin de femmes! Que l'on me permette une modeste confession. Pour moi Sappho et ses aimées, toutes ces beautés "à la ceinture violette" et "à la fraîcheur de rosée", et Aphrodite enfin, elle-même, ne font qu'une seule et unique image, celle de l'éternelle jeunesse du Désir. Et de quoi sustenterai-je, je vous prie, les quelques moments qui me restent, si ce n'est de ce rêve de beauté, cette sublime image à jamais inscrite dans la splendeur du poème?

                               

 

                                  DESIR de SAPPHO

 

 

                                       LIVRE UN

 

                                              1

                                       JALOUSIE

 

 

              

Il me paraît tout à fait égal aux dieux

   Cet étranger, tout là bas, qui te fait face

      Assis tout près de toi, à boire ta voix

         Si douce, si suave

 

 Et ton rire charmeur qui frappe d'effroi

    Mon coeur dans ma poitrine. Mais moi, hélas

       De te regarder je ne puis plus parler,

           Pas la moindre parole,

 

 Mais déjà ma langue se brise, subtil

      Sous ma peau coule le feu, et dans mes yeux

         Plus un seul regard, et le bourdonnement

             Etouffe mes oreilles,

  

Une âcre sueur m'inonde toute entière

    Le tremblement me saisit toute, je suis

       Plus verte que la prairie, et je me semble

           Presque morte à moi-même.

   

Mais il faut tout endurer, demain, conquise,

    Sur la nef aux voiles blanches vers Argos

        Il t'emmènera, l'étranger. Plus jamais 

            Je ne te reverrai.

 

PS : Cet illustrissime poème qui a inspiré d'innombrables poètes, était bien difficile à transcrire en strophe sapphique. De plus il manque la dernière strophe, juste ébauchée dans un demi vers. Je me suis permis d'en imaginer une fin possible, justifiée par d'autres passages de l'oeuvre, où Sappho, qui élevait ses élèves à la plus noble culture et les préparait au mariage, se plaint amèrement du départ -inévitable- de celles qu'elles aimait d'amour. D'où l'introduction de l'"étranger" dans le début du poème, pour rendre plausible la fin que je me suis autorisée.

 

  

                                  2

 

                       Désespoir d'amour

 

 

Je t'ai vue à l'aurore au trône d'or 

    Jouer dans le flux des vagues violettes

         Danser, nymphe légère aux cheveux de flamme

              Et j'ai cru défaillir!

 

A ce jour, seule Aphrodite la sublime

    Avait su conquérir mon coeur. Ah désir

        Tu me tords de désespoir et de nausées

             Et je me sens mourir.

 

      PS : adaptation personnelle à partir de fragments originaux. L'expression " aurore au trône d'or" est homérique. Quant aux "nausées " elles sont bien dans le texte, comme élément original de la symptomatologie amoureuse et passionnelle de Sappho. Voir là -dessus Jackie Pigeaud. Elle dit aussi " je désire et je me meurs". J'espère avoir su traduire la tension extrême qui fait la singularité de sa poétique.

 

 

                         3

 

             INVOCATION

                    

 

Trône miroitant, immortelle Aphrodite

  Fille de Zeus, mobile, je te supplie

     Ne me dompte pas de nausées, de chagrins

         Maîtresse, dans mon coeur,

 

 

Mais viens à moi, si tu percevais jadis

  De loin ma voix, tu me faisais bon accueil

     Quittant du père la demeure dorée

        A moi tu es venue

 

 

 Sur ton char attelé. Solides, rapides

   Du ciel sur la noire terre tes moineaux

      Te tiraient, battant leurs ailes tous ensemble

          Au milieu de l'éther,

 

 

 Tous ils accourraient - et toi, ô Bienheureuse

   Le sourire sur ton visage immortel

       Tu me demandais pourquoi je souffrais

            Pourquoi je t'appelais 

 

 

Et ce que je désirais voir advenir

   A nouveau dans mon coeur fou : "Qui dois-je encore

      Soumettre à tes transports d'amour? Qui, Sappho,

          A rompu le contrat?

 

 

Elle fuit, bientôt elle te poursuivra,

   Elle refuse tes dons, elle offrira,

      Elle n'aime pas, bientôt elle aimera

          Contre sa volonté".

  

 

                          4 

        

             ODE à CYPRIS

  

 

Toute frémissante, percluse, saisie

   De tremblements, je ne suis plus que plainte, amère

      La vieillesse ronge ma peau, mais toujours

          Le désir me tenaille.

 

 

Ton image resplendissante, ô Cypris

    A la ceinture violette déchire

       Haletante, éperdue, aux moiteurs de nuit

           Mon âme qui se pâme.

   

 

O viens tout près de moi, viens, je t'en supplie

    Prends la lyre, et qu'Aphrodite la sublime

       T'inspire, et que ta voix suave et riante

            Apaise ma douleur!

 

 

 O viens à moi, encore, délivre moi

   De ce tourment affreux, et ce que désire

      Mon coeur, accomplis-le pour moi, en alliée

         Dans ma lutte d'amour!

      

 

PS : Le rythme étrange  de ce poème peut surprendre un lecteur français, familier du vers pair et de la rime. Mais  le texte grec se présente ainsi, haché, saccadé, tout haletant d'ardeur et de douleur. Je me suis efforcé de rendre cette exaltation et ce transport autant que le permettait notre langue.

Pour le contenu je me suis fortement appuyé sur le travail remarquable de Jackie Pigeaud ( "Poèmes de Sappho", Rivages) qui colle à la richesse rugueuse et harmonique du grec, mais qui supprime la disposition versifiée. Ce fut un travail homérique de transcrire ce poème en vers, selon la rythmique du grec, tout en exprimant, en fidélité maximale, le sens et la fécondité poétique.

 

 

                     5

 

              Invitation au jardin

 

  

Depuis la Crète viens à moi, douce amie

   Ici, dans ce temple sacré, ce jardin

     De pommiers gracieux où fument les autels

        Aux vapeurs de l'encens!

 

 

Ici l'eau fraîche bruit à travers les branches

   Des pommiers, par le jardin ombreux de roses,

      Dans les feuilles agitées coule profond

          Le placide sommeil.

 

 

A la clarté du pré tout fleuri de roses

    Du printemps paissent les chevaux, et les brises

        Respirent le miel, et l'ombre douce danse

            Et berce le sommeil.

 

 

Oui, viens auprès de moi, viens, douce Cypris

     Et saisissant l'amphore aux vives couleurs

         Verse dans une tasse d'or le nectar

             Tout infusé de joie...

 

 

PS : Ce texte est une transposition aussi fidèle que possible du poème de Sappho, qui nous est parvenu dans un état de partielle mutilation. La structure en est ferme, comme dans les poèmes intégrament conservés, mais il manque quelques vers, et deci delà, des termes que je me suis permis de restaurer selon l'esprit du texte, afin de donner un poème complet, avec d'inévitables licences poétiques. Le lecteur jugera.

Comme pour les autres poèmes je dois à peu près tout à la fidèle édition de Jackie Pigeaud.

  

 

                              6

          

                Erotas : les Suppliques de Sappho

 

                   

 

Toi, déesse, impitoyable et secourable

  Epargne ce coeur meurtri tout en attente

    Du désir qui me blesse et qui me déchire

       Apaise la souffrance!

 

 

Tu me chavires, tu mords, tu me ravages

  Et je souille ma couche de mes larmes

    Au dédale maudit, enchanté du désir

      Qui toute me laboure.

 

 

Oh je voudrais, déesse aux yeux pers, me perdre

   Consumer le dur délire de mon coeur,

      De la falaise haute me jeter nue

         Dans les flots qui m'emportent!

 

 

PS On ne sait si la Sappho poète du désir et la Sappho qui s'est précipitée dans la mer par désespoir d'amour sont une seule et même personne, mais il sied au poète moderne de les identifier sans ambages, dans cette ultime extase qui réconcilie le désir et la mort. Est-il plus haut accomplissement que la réunion, en un éclair, du feu et de l'eau, éléments inconciliables réconciliés?

                                    

  

                                7

 

                          LESBOS

 

Je t'ai perdue à tout jamais, mon amour.

    Ta belle image comme un rêve s'étiole

         Je vais affligée aux plaintes de la mer,

             Et soudain je te vois,

 

  

Et je veux, comme l'aurore aux doigts de rose

    Toucher frémissante ta joue, oui je veux

        Frôler tes cils d'ombre et de soie, et baiser

            La rose de tes lèvres!

   

 

 

                         LIVRE SECOND : poèmes sapphiques

  

 

                       1

 

                  NAUSICAA

      

Comme Ulysse jeté nu sur le rivage

  Confuse j'errais dans le désert du coeur,

      Et je te vis, qui dansais dans la lumière

         Nausicâa, sublime!

    

 

 Et comme la déesse au sourire d'aube

     Sur le miroir des eaux, si pure! Ah je veux

        Sur la rose de ta bouche déposer,

          Humide, mon baiser!

  

 

 

PS : On se souvient de la scène mémorable dans Homère, où Ulysse, bateau fracassé, échoue sur le rivage, tombe épuisé dans un sommeil de plomb, et, se réveillant aux cris des jeunes filles qui dansaient sur la plage, va cacher sa nudité dans les feuillages, et s'émerveille de la beauté de la princesse Nausicâa, qui le recueillera, lui fournira une tunique pour se rendre au palais de son père Alkinoos, le roi de l'île. J'imagine ici une transposition poétique de Sappho, toute nourrie d'Homère, évoquant son émerveillement devant la beauté.

  

 

                                   2

 

                          APPARITION

    

 

Tu as bien fait de venir! Je n'osais plus

     Toute languissante, toute déchirée

         Toute moite, fiévreuse, chair consumée

              Espérer ton retour,

 

 

Et tu es là!  Je te vois marcher, gracieuse

     Vaporeuse comme l'aurore, et je veux

         Toucher ta gorge d'un doigt léger, ta bouche   

              Où perle une rosée,

 

 

Et t'aimer dans la sainte nuit d'Aphrodite

   Avant que le promis, ce pâtre trivial

       N'enlève sa proie innocente, et n'arrache

           Ta tunique empourprée. 

 

PS : Ce texte est une recomposition (risquée) à partir de fragments authentiques. On sait que Sappho, qui préparait ses élèves au mariage, ne cessait de craindre pour elles, voyant volontiers les hommes comme des bergers frustes, et le mariage comme un sacrifice, si ce n'est comme un viol. D'où le "pourpre" que je reprends fidèlement à la fin du texte, avec sa connotation évidente.

 

  

                         3

 

                     

                 ABANDON

 

  

Antinéa, dis-moi, toi si prometteuse

   O douce flûte d'Aphrodite, pourquoi

      Tu déchires les bandelettes d'amour

          Pourquoi tu me déchires

 

 

Et tu voles vers Andromède, la fourbe

     Ourdisseuse de ruses toujours nouvelles

        Qui d'un regard de miel, de vaines promesses

             A moi te déroba?

 

 

Loin de toi je suis un coquillage vide

    Jeté par les flots cruels sur le rivage

       Je vais seule, errant, le regard déserté 

         Sur la mer inféconde.

 

PS : Sappho se plaignait quelquefois de ce que certaines de ses élèves aimées ne la délaissent pour des rivales qui tenaient peut-être école comme elle, telle cette Andromède, citée dans ses textes.

 

 

 

                                4

 

                            DESIR

 

 

Si jeune, si belle, si fraîche de rosée

   Comme au joli matin la rose nouvelle

      Offerte à la brise des vallées de Lesbos

         Qui berce de la mer

 

 

La surface miroitante! Et la grâce

    Enveloppe le satin pur de ta peau

       Si douce au toucher de mes doigts, frémissant

           Au feu de la caresse!

 

 

Aphrodite m'a saisie, et toute blanche

    De fièvre, d'allégresse je serre ton corps

        Tendre, et ton coeur contre mon coeur, vibrants

            De l'immortel désir!

  

 

                         5

 

                    ABEILLE

  

 

Douce, belle abeille, tu te poses, brune

  Dansante sur les feuilles bleues de la menthe

     Parfumant mon jardin d'aromates vives,

        je vibre de désir,

 

 

Ardant, tout rougeoyant de toi, belle Atthis,

  Adulée entre toutes parmi les fleurs

     Chevelure bruissant comme la soie

        De la plus douce abeille,

 

 

Toi, si douce, ô douce rose juvénile

   Toi, je ne vis que de toi, en ma chair moite

       Loin de ton corps je m'étiole, je me pâme

           Mourant de ta beauté!

         

  

                                   6

 

 

                          PRIERE

 

 

            Ta douce hanche, belle Atthis

            Frissonne sous l'ongle spécieux

            Comme sous la brise le lys.

 

            Ma langue sur ta fleur exquise

            Dessine un rubis facétieux

            Qui dans l'extase s'électrise.

 

            Ah chère, chère ne va pas

            Choisir quelque brute velue

            Qui souillera tes beaux appas !

    

            Restons à l'ombre du bocage

            Toutes les deux, chastes et nues

            A tout jamais, pas davantage !

 

 

                      7

 

         ELEGIE pour SAPPHO

 

 

Je ne sais ce qui m'attire à toi, noble Sappho

Toi qui chantes le désir sauvage et libre

Dans la verte Mytilène aux rives de soleil

Toutes tu les aimais d'ardeur amoureuse

Ces jeunes beautés aux roses de printemps

Tu jouissais! La musique comme un vin

De Samos coulait de tes lèvres brûlantes!

 

 

Ai-je oublié? Qui suis-je? Au seuil de l'hiver

Tant d'images, de souvenirs me chavirent

Le coeur qui se sent immortel, dans un corps

Qui doucement s'en retourne à la poussière!

 

  

                           8

 

                 ODE pour APHRODITE

  

 

Belle comme en un rêve sublime et triste

  A moi tu es venue aux déclins d'automne

    C'était hier, c'est aujourd'hui! - Envoûtante

      Au brasier de tes yeux

  

 

Danse la vipère de la nostalgie

  Et si la douleur sustente ma folie

    Que suis-je, Aphrodite sans elle, qui seule

      De la mort me protège?

 

 

PS Que l'on me pardonne cet essai de poème selon les canons de la versification sapphique : strophe de quatre vers, les trois premiers de onze syllabes, le quatrième de six. Il est quasiment impossible de suivre le modèle qui exige une rigoureuse disposition des temps forts et des temps faibles parce que le français ne comporte pas de véritable accent tonique, comme le grec, le latin ou l'allemand. D'où un texte qui ne peut totalement danser à la mode antique.

Ajoutons, pour les amateurs de prosodie française, que c'est une gageure de composer des vers de onze pieds tant l'alexandrin a causé de redondances en nos mémoires fatiguées!

 

  

                              9

  

                         BOUZOUKI

  

 

Je passe ma vie à ne rien faire

Je suis très heureux

La brise berce doucement mes rêves

J'aime la beauté, la vie, le bel amour

J'écoute la mer

Ma pipe fume comme un encensoir.

 

         Bouzouki bouzouki

         De quoi me chantes-tu bouzouki

         De quelle histoire oubliée

         De crime, d'amour, de mer Egée?

 

Oedipe avait un oeil en trop peut-être

Et cet oeil est crevé

Il pleure son amour Oedipe

La nuit, comme une amante

Ouvre son ventre au bien-aimé

Le froid soudain brûle comme un brasier.

Tous nos amours sont déchirés

Seul sur son île solitaire à Patmos

Saint Jean porte encore le flambeau

Qu'il tend vers d'âpres soleils morts!

 

         Bouzouki bouzouki

         De quoi me chantes-tu bouzouki

         De quelle histoire oubliée

         De crime, d'amour, de mer Egée?    

 

Oh je voudrais te célébrer

Belle d'entre les Belles, ô Mytilène

Prêtresse musicienne amante et poétesse

Toi Sappho la plus belle,tant renommée

Tant décriée

Ceux qui ont sali ta mémoire

Sont indignes de te baiser les pieds

Ah laisse moi déposer

Comme des fleurs sur ta tombe ces vers

A ta manière:

 

 

"A l'instant l'aurore aux sandales d'or

   Me porte vers ce beau pays sans nom

      Qui brûle au plus profond de nous, plus fort

         Plus beau que l'avenir!

 

 

Je te respire ô belle entre les belles!

   Sur les douces plages de ton corps

      Court le long frisson amer et doux

         Du désir voyageur!

 

 

Désir, désir, invincible serpent

   Tu laboures ma chair et je brûle

      Et je crie! Hélas ce n'était rien

         Qu'une écharpe de lune!

 

 

Hélas tu m'as quittée, ma bien aimée

   Le vaisseau rapide sous le vent

      Te mène vers ce bel étranger

         Qui sut voler ton coeur,

 

 

Et moi je me déchire, et mon désir

   Me laboure la chair, et je pleure

      Et je mouille ma couche en serrant

         L'ombre de mon amour!"

 

      

Bouzouki bouzouki

      De quoi chantes-tu bouzouki

      De quelle histoire oubliée

      De crime, d'amour, de mer Egée?

 

Dans l'immense cercueil de la mer Egée

Je veux toutes vous noyer mes pensées

Qu'elles rejoignent le grand pays des morts

Sous la mer, sous la mer

Qu'elles nourrissent le dauphin, la murène

Qu'elles pourrissent joyeusement

Dans le grand cycle du temps!

 

Je ne me souviens plus de rien

C'était un jour cruel et délectable

Une histoire de crime d'amour et de cercueil

Qui pourrit dans la mer Egée

 

      

Bouzouki bouzouki

       Tu ne chantes plus bouzouki

       Tu me laisses tout l'avenir

       L'angoisse et le plaisir.         

  

 

                                 10

  

                    ADIEU à SAPPHO

            

 

Adieu, émouvante, sublime Sappho!

   Ce que tu fus pour moi nul ne peut le dire.

      Dans le désert brûlant de notre mémoire

           Tu étais la beauté

 

 

L'indicible, la merveille à tout jamais

    Perdue, et qui nous hante, et qui nous travaille

        Dans la douleur des choses qui s'effilochent

           Qui vivent de mourir.

 

 

Tu as vécu de désirer! Aphrodite

    A trempé ta douleur dans la flamme. Et nous

       Il nous reste le temps vide, et la nostalgie,

          Et l'au-delà du deuil.

      

   

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