LA CHANSON DE LA ROSE
Un petit air têtu me trotte dans la tête sans que je puisse m'en débarrasser. Ce n'est pas cet air en lui-même qui est fâcheux - il serait plutôt charmant - c'est cet effet de colle qui en fait proprement un symptôme. Mais passons. Ce sont les paroles qui présentement m'intéressent :
On est bien peu de chose
Et mon amie la rose
Me l'a dit ce matin
Pourquoi la rose, plutôt que le glaieul ou l'églantine ? La rose est la plus belle, au dire des poètes, resplendissante et solaire. Mais éphémère, à peine éclose voilà que les pétales jaunissent, avant la chute :
"Languissante elle meurt feuille à feuille déclose" (Ronsard)
Sublime mais éphémère, telle est la rose. En quoi elle symbolise parfaitement la beauté, qui ne résiste pas au temps, et la vie, qui s'en va à la mort. D'où le caractère poignant qui s'attache à son évocation, que le poème chante, et que la musique fait résonner dans le coeur :
" Et rose elle a vécu ce que vivent les roses
L'espace d'un matin" (Malherbe)
Peut-être faut-il tenir que l'essence même de la poésie réside dans le sentiment aigu de l'éphémère, de l'impermanence universelle, de la passagèreté de toute chose. Que même la beauté n'échappe pas à cette nécessité augmente encore la douleur, provoquant, du haut de l'élévation et de la gloire, une chute impitoyable dans la dissolution. Homère chante la gloire du héros, mais à la fin il ne reste que cendres.
Le deuil peut-il être surmonté ? Oui, partiellement, en considérant que de nouvelles roses s'épanouissent au soleil, qui ne remplacent pas les anciennes, mais qui apportent de nouvelles joies et inspirent de nouveaux poèmes.