Le CORPS GLORIEUX : du temps et du mouvement
« Une redoutable incertitude et une obscurité épaisse enveloppent les choses, et nous errons, comme dans un profond sommeil, sans rien pouvoir circonscrire par la rigueur du raisonnement, sans rien saisir avec fermeté et sûreté, car toutes ressemblent à des ombres ou à des fantasmes. Comme dans une procession les premiers rangs échappent à la vue en s’éloignant, comme dans un torrent les flots courent à telle vitesse qu’ils laissent en arrière notre perception, de même, dans la vie, les choses passent, s’éloignent, et bien qu’elles paraissent se fixer, aucune ne demeure même un seul instant et ne cesse de fuir. » (Philon d’Alexandrie, De Josepho – cité par M. Conche, Pyrrhon et l’Apparence, p 288)
Nous disons : la rose. Mais quelle rose ? Le petit bourgeon timide qui se dégage laborieusement, la fleur qui étale «les plis de sa robe pourprée", ou celle du soir "feuille à feuille déclose », ou la tige inclinée, effeuillée qui penche vers la terre, ou encore ce petit tas de poussière ?
Bien sûr, à la lettre, nous ne percevons pas les changements infinitésimaux qui font qu’aucune chose, aucun vivant ne coïncide à soi en aucun temps. A chaque instant la chose qui existe est à la fois soi et pas soi : elle n’est plus ce qu’elle était, elle est déjà en mouvement vers ce qu’elle sera, qui sera dépassé à son tour.
D’aucuns soutiennent qu’au Jugement Dernier notre corps connaîtra une miraculeuse résurrection. Soit. Mais je demande : quel corps ? On me dira : le corps glorieux, transfiguré pour l’éternité. Mais qu’est-ce qu’un corps glorieux si le propre du corps est de se transformer sans cesse, selon l’ordre du temps. Leur corps glorieux n’est qu’un fantasme. En effet, quel est ce corps qui ne respire pas, ne transpire pas, ne se nourrit pas, qui ne connaît pas le désir et la jouissance. Otez les besoins, ôtez les pulsions et les appétits, ôtez le mouvement, vous n’avez plus qu’un cadavre, ou une statue de sel.
L’idée d’Etre et l’idée de temps sont inconciliables. Or le temps est souverain et le mouvement universel. Dont acte.