De la nécessité d'ECRIRE

Pour un écrivain, qu'il soit philosophe, poète ou romancier, ne pas pouvoir écrire est une véritable souffrance. "Hé, que ne prenez-vous du bon temps, dira-t-on, allez vous promener, allez au cinéma, lisez, festoyez, vous verrez que l'on peut très bien vivre sans écrire". Sans doute, mais c'est là une vue de l'esprit qui ne console de rien. C'est méconnaître complètement la structure intellectuelle et affective, l'idiosyncrasie très particulière d'un écrivain.

Ecrire c'est transposer le vécu, plus exactement le vivre, dans un texte, en acceptant la linéarité de la phrase, du paragraphe, de la page. Ce qui est vécu dans l'instantanéité, la confusion, l'entremêlement et le désorde - le passionnel, le pathétique - se voit rangé, par le travail de l'énonciation, à un ordre externe, conventionnel certes, mais qui dans le meilleur des cas, réalise une heureuse métaphore : c'est bien cela, mais c'est aussi tout autre chose.

Cette transposition est pacifiante.

Peut-être faut-il en déduire que celui qui s'engage dans cette voie de l'écriture est un sujet particulièrement instable, mais doué de passions fortes, qui ne peut vivre pleinement sans cet exercice, cette discipline qui lui permettent de se nourrir du passionnel tout en le soumettant à la forme.

Certains choisissent la méditation, d'autres le jardinage, ou un travail qui exige concentration et patience, ou les arts martiaux, ou le yoga : toujours il est question d'un travail sur soi, d'une évolution patiente vers l'excellence. L'homme est cet animal qui n'accède à soi que par la discipline et la gestion du temps. De même pour l'écriture, si toutefois elle n'est pas verbiage et affichage.

Selon ce critère les vrais écrivains sont rares. Raison de plus pour les honorer et les faire connaître. C'est à leur contact que l'intelligence s'éveille, que le coeur se met à battre plus fort, que telle vie misérable est soudain transfigurée. Eux, les lumineux, nous soulèvent au dessus du tumulte des flots et nous font voir la lumière.