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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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13 juin 2019

Le CHOIX d'ACHILLE : de l'héroïsme

 

On sait qu'Achille, sommé de choisir entre une vie courte mais glorieuse, et une vie longue, obscure et paisible, élit sans hésiter la première. Dorénavant il sait que le temps presse, qu'il mourra jeune, et que pour rester dans la mémoire des hommes il lui faudra accomplir dans l'urgence de grandes actions. Il sera le plus valeureux, le plus courageux de tous les Grecs. S'il méprise la vie obscure du laboureur c'est parce qu'il ne vit que pour la gloire, qui lui semble la seule vie digne d'être vécue, en assumant la conséquence nécessaire du trépas. Mais qu'est-ce que la gloire, sinon est cette vie idéalisée qui n'existe que dans la mémoire des hommes, qu'il crut plus réelle que toute autre, mais qui n'est que fantomale et désincarnée, en tout point comparable à celle des Ombres dans les Enfers. Il est remarquable pour notre propos, que par la suite, après son décès, Achille confesse qu'il aimerait mieux être un pauvre laboureur, là haut sous le soleil, qu'ici, dans les Enfers, une ombre exangue et misérable. 

Choisir l'héroïsme c'est doublement choisir la mort : parce qu'on a toute chance de mourir au plus tôt, et parce que la survie rêvée du héros n'est qu'une vie imaginaire, purement nominale, qui ne tient que par la mémoire des hommes. Ajoutez-y le fait que très peu de héros, héros d'un jour, survivent dans le souvenir collectif.

La structure psychique du héros - mis à part l'acte héroïque dont bien des gens sont capables dans des circonstances exceptionnelles, actes spontanés de courage ou d'abnégation - me semble la suivante : le sujet, pour exister et s'affirmer, choisit de se ranger sous la bannière de l'Autre, cet Autre impersonnel qui n'a de consistance qu'à se désigner comme mémoire collective. Achille veut vivre à jamais dans la mémoire des Grecs, comme image triomphante du courage et de la valeur (guerrière). Cette mémoire, que j'appelle ici l'Autre comme pôle attractif qui aimante le désir du sujet, décrit sommairement un espace psychique, l'espace mental de la culture grecque, où se dressent les portraits des grands hommes réputés valeureux, galerie somptueuse de modèles, à laquelle le sujet veut s'ajouter comme plus un. Achille veut inscrire son nom dans la nomenclature des noms fameux, et par là, conquérir une sorte d'immortalité. Cette disposition est plus répandue que l'on croit : qui ne songe à sauvegarder son nom (le nom du père) de l'opprobre et de la honte ? Qui ne se soucie, quoi qu'il en dise, du qu'en dira-t-on, sans savoir au juste quel est ce "on" qui pourrait exprimer un blâme ou une louange ? Dans nos pensées et nos actes nous nous référons à cet Autre qui reçoit ou rejette, approuve ou désapprouve, en un mot qui juge. Le héros pousse plus loin que la moyenne ce souci de l'Autre, jusqu'à ressembler, y penserait-on, au religieux qui s'aliène délibérément dans la subordination à l'Autre ("Que ta volonté soit faite").

Pour exister, le héros renonce à vivre, dépose sa vie en cadeau. Le religieux la mortifie.

Fichtre ! Voilà que le héros, si beau, si majestueux, si imposant, si glorieux, nous semble, par un certain côté, complètement infantile ! Idéal du moi, misère du moi. Et à relire Homère, ce n'est pas le bouillant Achille que j'admire, mais Hector, très valeureux lui aussi, mais qui n'aime pas la guerre même s'il y excelle, mais qui est capable de tendresse, et qui recule effrayé, cherche à fuir le combat qui consommera sa perte. Et Ulysse, dans l'Odyssée, qui "verse des larmes amères au bord de la mer vineuse" au souvenir de sa chère épouse. Dans ces exemples nous voyons apparaître et se fortifier une autre disposition, qui n'est plus l'obsession de la gloire, mais le retour à ces données très concrètes, sensibles et triviales, de ce qu'il faut bien appeler la réalité. Et dans ce sillage une nouvelle vision de l'humanité, que l'héroïsme brut oblitère, et qui, dans la douleur, nous invite à reconsidérer notre place dans le monde. 

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