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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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7 mars 2019

MIRAGES, MIROITEMENTS

 

Ce qui constitue le statut propre de la phantasia telle que nous l'avons décrite plus haut c'est le miroitement : poikilesthai - ah ce verbe superbe de la langue grecque, il est à lui-même un miroitement ! Cela brille, cela scintille, cela fascine, trouble et séduit. C'est la folie de Narcisse, qui s'avance, éperdu, pour saisir une image, qu'il voit comme image de l'autre. La phantasia flotte dans cet entre-deux aérien où se perdent les repères de la perception sûre, où le sujet hésite, aspiré vers l'objet de désir, et impuissant à le rejoindre. Elle creuse un écart douloureux où vont se précipiter toutes les attentes, toutes les déceptions de l'âme désirante, oui, de l'âme, terme incontournable pour noter ce qui anime, fait vibrer, miroiter en retour, dans l'extase du miroitement.

Seuls les poètes parleront adéquatement de cette divagation.

Mais nous, plus prosaïquement, nous nous demanderons ce que voit le sujet. Cette image, quel rapport entretient-elle avec l'objet réel, par exemple qu'en est-il d'Hyppolite dans la vision éperdue de Phèdre ? La première évidence c'est que Phèdre ne sait rien d'Hyppolite, rien de personnel, rien de sûr. Mérite-t-il en quelque manière l'attention, l'intérêt, la passion ? Une image idéalisée vient se mettre en lieu et place de la réalité, mieux encore, d'autant plus forte qu'elle s'ignore comme image. Je ne sais rien de l'autre, et pourtant, dans une aveuglante présence, voilà l'image, toute - irréfutable.

L'image s'engendre de la nescience, de l'objet et du sujet.

Pourtant il faut bien qu'un "quelque chose" ait précipité cette confusion, cette adhérence : un trait, comme on dit d'un trait du visage, ou d'un trait de plume, plutôt le trait fulgurant d'un stylet invisible qui marque la chair de l'âme, y creusant la blessure : flèche de Cupidon, selon une juste mythologie. Quelque chose, un trait dans l'autre, toujours le même, et voilà la débâcle. Descartes, épris d'une jeune beauté qui louche, remarque avec étonnement qu'enfant déjà il s'était amouraché d'une gamine qui louchait. L'inscription une fois faite, survient la réitération, le même trait produisant le même effet. La répétition des traits crée un texte, une histoire où la diversité apparente dissimule la mêmeté. C'est ainsi que s'originent les histoires de désir et d'amour, le plus remarquable étant que le sujet puisse rester à jamais dans la méconnaissance des causes qui le déterminent.

Quant à savoir d'où vient ce trait, et son étrange pouvoir, on ne peut s'en approcher qu'en retrouvant nos premiers attachements, le souvenir par exemple de ce beau visage qui se penchait sur nos nuits sans sommeil, ces yeux pensifs et tendres, ou la commissure des lèvres, ce grain de peau, ou la tiédeur d'un bras qui vous entoure. Dans Tolstoï (Anna Karenine) retrouvez le charme inépuisable d'un beau bras blanc, exquise invitation aux abandons délicieux de l'amour.

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Commentaires
O
Oui, je le crois aussi, quelque chose, en effet, doit précipiter de telles adhérences, qu'on appelle parfois, de façon assez réductrice, des "coups de foudre". <br /> <br /> Mais quoi? <br /> <br /> Elles tiennent sans doute, plus qu' aux êtres eux-mêmes qui les suscitent en nous, dans leur réalité propre et indépendante de l'effet qu'ils peuvent produire dans une fulgurance, comme la Passante de Baudelaire, <br /> <br /> à ce que nous sommes, plutôt, <br /> <br /> à ce que nous sommes devenus, <br /> <br /> à la suite de nos rapports, affectifs surtout, avec des personnes de notre entourage, souvent passé, parfois même oublié en surface. <br /> <br /> Ils font écho sans doute, ces étranges éblouissements, à des traces laissées dans les profondeurs de notre sensibilité, et à leurs "interactions", entre elles-mêmes, entre elles et notre être dans ce qu'il a de plus spécifique, surtout: <br /> <br /> alchimie des réminiscences, toujours mouvante, projections inconscientes de nostalgies, d'affinités, d'attentes, sur l'image de l'être qui nous éblouit, alors qu'il laisse souvent tout à fait indifférent tel autre, incapable même, parfois, de comprendre notre fascination, ce que traduit bien par exemple l'expression: "je ne vois vraiment pas ce tu lui trouves d'extraordinaire" (ou: de "spécial", de "particulier", etc)...<br /> <br /> Et cela ne concerne pas que l'attirance produite par des visages, des yeux... Tout ce qu'on peut voir, entendre, sentir, est susceptible de produire de tels ravissements, soudains, violents, parfois fugaces: une "banale" ornière, un talus, une tiédeur de brise, une mélodie, que ce soit avec ou sans associations d'idées, d'images , de sentiments associés, -comme l'évoque Nerval dans un des plus beaux poèmes, mais aussi les auteurs de haïkus, ou encore Jean Follain plus près de nous... <br /> <br /> On serait bien en peine de préciser ces choses, et sur ce point, en tout cas, je doute que seule l'insuffisance du langage soit en cause; l'ignorance plutôt où nous sommes de notre monde intérieur...<br /> <br /> Quant à certains personnages de Racine tels Hippolyte mais aussi Bajazet, qui restent froids et impassibles comme des pierres face aux passions suppliantes que Phèdre et Roxane leur confessent, je dois dire qu'ils m'ont toujours, dès mon adolescence, au lycée, fait par leur insensibilité et leur absence totale de compassion, un effet presque aussi répulsif que des fanatiques bornés du genre Horace ou Polyeucte chez Corneille.... Mais c'est là une toute autre histoire
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