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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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6 février 2019

DESIR et SIMULACRES

 

Ce matin, allant acheter mon pain, rêvassant au décours des rues, j'eus soudain cette intuition, qui n'est pas vraiment neuve, mais qui m'apparut comme une évidence : désirer c'est envelopper la personne désirée d'un halo magique, une sorte de gaze très fine et lumineuse qui lui donne un rayonnement extraordinaire, la situant hors du champ banal de l'existence. L'espace se recourbe autour de ce centre solaire, et tout mène à lui, se perçoit par rapport à lui. Tout converge, tout se ramasse, tout s'intensifie, coulant à flots vers l'Unique, et s'y résorbe. Voyez comment la femme désirée se métamorphose, se colore, s'embaume, brillant des mille feux d'Aphrodite. Il y a là une magie qui ne s'explique guère, qui survit à toutes les analyses, qui se réitère à chaque aurore du désir.

Lucrèce parlait des simulacres, ces envelopes ténues qui se détachent des corps, flottent dans l'espace à la rencontre du corps sentant et percevant. Dans le désir tout se passe comme si les simulacres eux-mêmes étaient portés, par on ne sait quel phénomène chimique, à la puissance supérieure, irradiant et galvanisant : le corps, chauffé à blanc, répand de toutes parts sa lumière et sa beauté. Ainsi procède la magie du désir.

Et d'où vient cette magie ? Fallacieusement je crois qu'elle vient de l'autre, par l'effet d'une illusion inévitable. Mais c'est de moi, de moi qui ai distingué, élu, sacralisé le bel objet que vient la fantasmagorie. Je crois que c'est l'autre qui m'a ébloui, et c'est moi qui ai tiré de moi-même les causes de l'éblouissement. En toute rigueur je ne trouve en l'autre que ce que moi-même j'ai projeté à partir de mes propres désirs.

Et si l'autre s'enflamme, c'est en réponse à ma flamme : qu'est-il en effet de plus beau qu'une femme qui se sent désirée ? Dès lors, dans cet aller-retour, on ne sait plus qui est cause, ou cause de la cause.

Tout cela se vérifie a contrario. En l'absence de désir, ou quand le désir est mort, l'autre ne rayonne plus, il se range à l'aune commune, il se banalise, son visage, comme tous les visages, me semblera inexpressif et terne, la lumière a quitté son corps, il est un corps parmi tous les corps. Les simulacres qu'il émet n'ont plus cette intensité, cette luminosité qui troublait et enchantait mon âme, et pour un peu je penserais avoir perdu mon âme.

Illusion certes - mais pour autant faut-il suivre ceux qui nous invitent à sacrifier tout désir ? Nous voici devant une tragique aporie : vivre en s'illusionnant, être libre sans désirer ? Reste la troisième voie : éviter les envolées, se tenir au plus près de la source, à l'orée de la vie où le plaisir s'éprouve dans la gratuité.

 

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