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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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5 février 2019

Sur la Question du MANQUE

 

Manquer c'est rater, passer à côté, comme on rate la cible, l'objectif, la rencontre espérée. On peut rater mille occasions dans sa vie, mais on ne rate jamais l'heure de sa mort.

Parlant du manque on évoque plutôt le manque de ceci et cela, la chance, l'argent, la beauté, la tendresse, la santé, et tout ce que voudrez. Kyrielle interminable des biens et des plaisirs dont on croit qu'ils sont de nature à nous satisfaire. Chacun peut observer en soi-même l'effet de relance qui fait que de l'insatisfaction on rebondit dans un nouvel espoir. C'est le vase percé de Lucrèce.

La langue nous offre une autre possibilité : manquer à, comme dans l'expression : je manque à tous mes devoirs. Manquer à c'est se découvrir manquant, imparfait, incomplet, ce qui évoque l'origine du mot : "mancare", estropier, mutiler, de "mancus", manchot, estropié, d'où : débile, imparfait.

Le manque de pose la question de l'avoir, le manque à, celle de l'être.

On croit que par l'avoir on compensera enfin la faille ontologique, colmatant la blessure infligée par la nature, de nous avoir faits tels que nous sommes, à défaut d'être des dieux, qui eux au moins sont incorruptibles et bienheureux. Ni des dieux ni des animaux. C'est la leçon de la fameuse parabole de Protagoras où l'on voit les dieux munir tous les animaux de moyens efficaces pour vivre et se reproduire, abandonnant par oubli les hommes à la précarité d'une existence sans défense. En termes modernes on dira que l'enfant humain vient au monde prématuré, dépendant et démuni, et que dès lors il est condamné à chercher hors de lui, dans le groupe et le milieu, de quoi se sustenter. Ce qui le prédispose à valoriser l'avoir, à s'imaginer que par l'avoir il s'assurera de l'être. D'où également les constructions fabuleuses, fantasmatiques et délirantes par lesquelles il croit se fabriquer une existence au delà de la mort.

"Manque à être" : oui, si par là on désigne ce statut indépassable de l'humain comme mortel et sexué, qui ne saurait prétendre au titre d'être, lui qui est soumis à la loi du temps, et qui se sait soumis à la loi du temps. C'est un statut, et comme tel, inamovible. Pour autant il serait fâcheux de se lamenter, d'aller gémir sur l'infirmité et la caducité de notre condition : c'est bien d'elle que se prévaut la noblesse de la culture. Dans Protagoras encore ces hommes démunis inventent la technique, la parole, les lois, ajoutons : la beauté.

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