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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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9 mai 2018

De l'INSUBSTANTIALITE (2) - la "chose"

 

Quel intérêt, direz-vous, à méditer sur l'insubstantialité du monde et du moi ? Des quatre modes précédemment analysés je retiens, vous l'avez compris, le quatrième, le seul qui présente quelque cohérence dans la pensée. Le seul qui offre une vue dégagée sur le réel, et nous libère un tant soit peu de l'attachement.

Qu'il y ait des "choses" nul n'en doute, mais nous ne savons guère ce qu'elles sont. Elles existent "pour nous", et ce "pour" est incontournable. Celui qui mange une pomme ne se soucie pas de la nature de la pomme : elle satisfait un besoin, et n'existe que dans ce rapport. Bergson remarquait que nous ne nous intéressons aux choses qu'en rapport à leur utilité, leur maniabilité, ou pourrait dire leur "outlité" - désignant par là l'attitude fondamentale de l'homo faber qui transforme les choses à son profit. Il faut une disposition très particulière, chez certains, pour que l'"être" des choses apparaisse comme un objet de curiosité ou de souci, artistes ou scientifiques, personnalités "détachées" de l'attitude commune, et du soin immédiat de la vie. Et même pour ceux-là, à quoi parviennent-ils, si ce n'est à une nouvelle image, plus resserrée peut-être, plus significative, mais image toujours. Cézanne, dans une suite impressionnante de tableaux, s'efforce de dépouiller l'image perceptive ordinaire de la Sainte Victoire, pour saisir au plus près le jeu de la lumière au ras de la montagne, au ras des sensations les plus pures, les plus immédiates, les plus originaires. Hé quoi, l'effort est admirable, le résultat étonnant, mais qu'en sera-t-il de la réalité ? On multipliera à l'infini les oeuvres ou les poèmes, on transposera le tout en musique, et alors ? La "chose" échappe toujours.

Mais quelle "chose" ? A la fin, tout à la fin - la fin étant l'épuisemenet de la quête - on n'aura jamais qu'un théâtre subjectif, brouillamini impressionnant et vain. "Vanité que la peinture...".

Mais cette vanité n'est pas pire que la perception ordinaire. Je dis : voici la montagne. Cela suffit pour l'usage ordinaire. Mais si je regarde de plus près, que vois-je ? Un amoncellement de roches, des éboulis de pierrailles, des surfaces blanches ou roses parsemées de fleurs, des arbustes, des mimosas, des oiseaux qui tournent, piquent et s'agitent, des sentiers abrupts, des promeneurs, un ciel pâle où paissent des nuages. Et bien d'autres choses encore. De cet agglomérat je fais "la montagne", mais chacun de ces éléments je puis à son tour l'isoler, le décomposer, et bientôt la montagne a disparu. Où commence, où s'arrête la montagne ?  Je vois des éléments posés les uns à côté des autres, sans rapport entre eux si ce n'est d'une proximité de hasard : tel arbre pourrait bien être fiché ailleurs, tel amoncellement de roches côtoyer un précipice. Et de même de tous les autres. Il se trouve que les choses sont disposées comme je les vois - ou crois les voir - d'une certaine manière, et cette manière fait que je suis persuadé de voir une montagne.

Si je cherche la nature propre d'une montage je ne trouve rien qu'une somme d'éléments. Et chacun de ces éléments, à son tour, se décompose en éléments interconnectés. Et tout au bout j'aurai un tissu subatomique, lequel à son tour est susceptible de divisions plus fines encore. Mais où s'arrêtera cette décomposition ? C'est le problème de la science. Il nous suffit, à nous, de conclure à l'impossibilité de trouver pour chaque "chose" sa substance, que ce soit une chose matérielle ou une conscience - pour laquelle le travail d'analyse est encore plus aisé. 

Que ces analyses ne viennent pas troubler le sens commun ! Elles n'ont jamais empêché quiconque, en voyant une montagne, de dire : voici une montagne. Question de point de vue : il y a le cours ordinaire de l'existence, où les choses sont les choses, et le point de vue de l'analyse, pour lequel toutes choses se décomposent, perdent leur fixité apparente, se dissolvent en rapports de rapports, sans nature ni substance, existant selon un mode infiniment paradoxal, ni être ni non-être, dérivant dans le fleuve du temps.

Il y a un tercet bouddhique qui énoncé : au début la montagne est la montagne, puis la montagne n'est plus la montagne, et à la fin la montagne est la montagne.

 

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Commentaires
A
Cher Guy, j'édite mon commentaire "ailleurs" qu'ici, car il est trop long. Il poursuivait ton premier article et rejoint celui-ci. Je suis très heureux que nos analyses s'harmonsient autant...
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X
"au début la montagne est la montagne, puis la montagne n'est plus la montagne, et à la fin la montagne est la montagne."<br /> <br /> <br /> <br /> Quand on est jeune on ne remet pas en question les choses puis vient l'age de raison, de l'analyse et on est tenté de disséquer les choses mais à la fin ce qui compte c'est la contemplation pour ces choses.
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N
Ce qui intéresse précisément les peintres, c'est justement ce mode paradoxal du phénomène, que d'être et ne pas être en même temps. Le jeu des apparences. Observer et peintre la fugacité du monde. De même les scientifiques, observer, s’émerveillant, tenter en vain de trouver la brique ultime pour ainsi clôture le récit du réel. Un réel qui échappe et se renouvelle. Tel est le prodige de la dimension du réel, de l'espace de la réalité absolue, de la dimension globale, de la sphère non duelle, de la dimension de la vraie nature des phénomènes. L'observer suffit. Se rappeler cet espace commun suffit à faire émerger une parenté au delà des points de référence égoïques.
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