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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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25 avril 2018

LA CONNAISSANCE DE SOI, un leurre ? - PYRRHON

 

Reprenant la formule delphique: "connais-toi toi même et tu connaîtras l'univers et les dieux" je me propose de la soumettre à ce qui pourrait-être une exploration pyrrhonienne. On ne sait pas, malheureusement, ce que Pyrrhon a pu penser de cette injonction, à supposer qu'ii s'y soit attardé, ce qui est loin d'être sûr. De son maître Démocrite il a pu retenir la formule "je sais que ne sais rien" (qui n'est pas une exclusivité socratique), et ce savoir paradoxal qu'il n'existe pas de savoir en vérité. De là découle nécessairement qu'il n'existe pas de connaissance de soi. Mais examinons cela de plus près.

Si "de toutes choses il faut dire qu'elles sont également in-différentes, im-mesurables, in-décidables" on ne voit pas en quoi la supposée connaissance de soi échapperait à l'aporie universelle. Aporie : absence de ressources, embarras, difficulté. "De toutes choses" - donc aussi bien de ce fragment d'espace et de temps qu'on appelle le moi, et qui, comme toutes choses au monde, se présente, apparaît et disparaît, somme instable de mouvements et de processus soumis au régime de l'impermanence universelle. "Où donc, pourrait s'exclamer Pyrrhon, voyez-vous de l'être dans ce qui n'est que passage, dans ce qui se soutient péniblement à flot dans le remous universel ? D'où tirez-vous l'idée d'une quelconque supériorité ou préséance, quand, comme toute chose au monde, vous coulez irrésistiblement vers le néant ?" Et de citer Homère : "Comme est la nature des feuilles, ainsi celle des hommes". Si l'on se rend à l'idée d'une mobilité universelle qu'en sera-t-il de nous - non que nous n'existions point, mais simplement nous paraissons et disparaissons comme les feuilles. Alors, où est le moi ?

In-différent : non différent des autres processus, de même "nature", naissant et périssant.

Im-mesurable : parce qu'il n'existe pas de mesure en vérité. Que signifie : plus grand, plus fort, plus intelligent ? Qui dira comment mesurer la force ou l'intelligence ? Ce ne sont que mesures conventionnelles, attributions d'usage, rôles et statuts. Nul ne peut se mesurer soi-même, parce que toute mesure vient du dehors, inapte à saisir, ou à dire ce qu'il en est.

In-décidable : ni vrai ni faux, ni à la fois vrai et faux, ni pas vrai et pas faux. C'est le langage en tant que tel qui est suspendu dans le vide, glissant et dérapant, inapte à dire quoi que ce soit de ce qui apparaît.

C'est ce dernier point qui me paraît le plus intéressant, plus que le discours sur la mobilité universelle. La critique de Pyrrhon porte sur le statut du langage, disqualifié comme outil de connaissance. Or dans la tradition grecque c'est le langage - le Logos - qui jouit d'une préséance constamment reitérée. L'homme grec, depuis Héraclite et Parménide, puis chez Aristote, se définit comme "le vivant possédant le langage": par le langage il s'assure de l'être, et de son être propre. C'est le sens du "connais-toi toi-même" - être de langage qui par le langage se rapporte à l'être universel (l'univers et les dieux). Pour Pyrrhon il n'existe rien qui ait le statut de l'être, ni le monde, ni les dieux, ni les hommes. Dès lors le projet de se connaître soi-même devient inepte, voire ridicule ou prétentieux. S'il n' y a pas d'être, il n'y a rien à connaître, aucun moi qui échapperait au régime général de l'apparence. 

Le langage ne nous sauve de rien : lui-même est processus mobile, changeant, évanescent. Il dessine au dessus de la sphère du réel une volute de fumée qui pour les hommes tiendra lieu de norme et de vérité, en l'absence de tout critère de vérité véritable.

Ce qu'on appelle le moi est traversé d'un double mouvement : le mouvement général et invincible de la nature ("comme des feuilles") et le mouvement général de la langue qui conditionne les places, les fonctions, les devoirs, les vertus etc. Où donc est le moi ? A l'avance Pyrrhon ruine tout projet psychologique : la connaissance de soi est un leurre.

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Commentaires
G
Je publie, non sans réticence, votre commentaire car s'il exprime justement les conditions de la connaissance, je crains qu'il n'invite à une métaphysique de l'intelligible qui est fort éloignée de mes propres perspectives. Mais le débat est en soi respectable. C'est le lecteur qui jugera des positions exprimées, en toute liberté.
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R
Oscarsutter vous naissez vous mourrez, l'espace entre ces deux points, libre à vous de mener votre barque.
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O
MurSolide, à défaut de rester totalement silencieux comme le Bouddha, ou comme Jésus à en croire Jean l'évangéliste quand Ponce Pilate lui demanda ce qu'était la "Vérité" dont le "Christ" avait dit être venu pour en témoigner,ou comme Wittgenstein recommandait de l'être face à l'indicible, je vais m'efforcer d'être un peu moins prolixe que leurs innombrables disciples passés et actuels;<br /> <br /> Dieu, "l'Etre", le Principe premier des brahmanes, l'absence même de ce Principe selon le bouddhisme: que la vérité ultime réside ou non ici ou là, qui saurait le dire, ou même le savoir sans le dire, avec ou sans état de conscience modifié par la méditation ou par une drogue?<br /> <br /> Par contre, et democrite dût-il me trouver une fois encore trop péremptoire ou/et paradoxal, il y a, en dehors même du domaine de la science, de ses paradigmes et de sa méthodologie strictement objective, un petit nombre de choses que JE SAIS, ou que je crois savoir, ce qui revient peut-être au même en l'occurrence, mettons par le biais de la "science intuitive" telle qu'il l'évoque:<br /> <br /> toute vie, toute existence sont individuelles, malgré les colonies de cellules et autres stades évolutifs du même genre; et parler d'"apparence" à ce propos ne sert à rien; dire que la multiplicité des "Moi" est une apparence, ne sert à rien; <br /> <br /> et toutes ces expériences individuelles sont surtout souffrance et mort à l'oeuvre, c'est l'essentiel où je voulais en venir; <br /> <br /> or chaque être vivant est en droit de ressentir cela comme mauvais en soi, mauvais comme phénomène tout comme mauvais comme "chose en soi": non seulement il est en droit de la faire, mais cela me semble relever de l'évidence. <br /> <br /> Et de refuser toute illusion consolatrice, toute quête, spéculative ou mystique, d'un sens. <br /> <br /> Cela n'est-il pas une façon tout aussi légitime de clore tous les débats?
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O
Vous dire pourquoi je ne me sens guère d'affinités avec la pensée de Nietzsche, avec notamment une propension marquée à falsifier celle d'autrui, me prendrait trop de temps et de mots, surtout dans le cadre d'un commentaire placé ici, Democrite; mais comme je l'ai dit déjà, je reconnais le caractère subjectif et sans doute injuste d'une condamnation, surtout en l'absence d'une... connaissance (même relative) suffisante; <br /> <br /> au sujet de son style à plus d'un endroit, je prétends en effet avoir par contre une certaine compétence minimale, à la fois par profession et par passion, pour le juger aussi détestable que celui de Schopenhauer est excellent, et cela que ce soit en allemand ou en traduction française disponible;<br /> <br /> pour le reste: je voulais surtout pointer l'étrangeté de cette relation entre un sujet et un objet de connaissance via la perception (et ses prolongements par des moyens techniques), que semble être le réel: relation où l'"objet" est très difficile à définir (qu'est au juste la matière?), et où du "sujet", on ne peut rien savoir du tout;<br /> <br /> et donc rien n'était plus éloigné de mon intention, soit ajouté au passage, que de vouloir "montrer Cela qui voit", ce qui serait d'ailleurs une contradiction dans les termes... me semble-t-il...et sans vouloir non plus avoir un "ton" trop "définitif"... Lequel serait un joli paradoxe en effet, de la part d'un esprit sceptique; comme le serait de dire: "je sais que je ne sais pas", ce qui par une prudence et un scrupule qui l'honorent, a incité je crois Montaigne à préférer la devise: "que sais-je?"...
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M
Le bouddhisme clôt tous les débats. Tout est soumis au devenir universel.<br /> <br /> Ce qui est composé, ce décompose. Le Moi est évanescent. Quand un villageois demanda au Bouddha si Dieu existait, s'il y avait un Créateur des Mondes, en d'autres termes, s'il y avait une brique stable, ultime et éternelle dans l'univers mouvant, le Bouddha garda son silence. Le Moi est le résultat de l'Evolution, permettant une survie efficiente de notre espèce. D'un point de vue fonctionnel, avoir une subjectivité et une cognition développée, est un avantage. D'un point de vue spirituel et philosophique, il suffit de reconnaître l'impermanence. Le chemin de la réalisation est en fait très court. Parfois, il y a la tentation d'une conversion vers le monothéisme pour une vie plus sereine, plus facile, doublé le Moi évanescent, d’une brique illusoirement stable appelé Dieu, et se rappeler à Lui (à l’ordre) par des prières quotidiennes… s’injectant à petite dose des effets de certitude, afin de pouvoir déporter son attention des effets du devenir (maladie, vieillesse, mort) vers des plaisirs moins portés sur le tragique.
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