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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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1 février 2018

LA SOUFFRANCE de la SOLITUDE

 

Je ne puis commencer à écrire que lorsqu'un morceau de phrase déjà constitué se présente à mon esprit, une association de mots et de sensations pour ainsi dire gratuites, parfois un bout de vers qui pourrait donner lieu à un poème. Je m'étonne toujours de ce merveilleux éveil de l'esprit, de cette miraculeuse disponibilité du langage, de cette grâce qui vient comme " un oiseau qui passe" (Victor Hugo). Le thème n'est pas toujours très élevé, ce peut être une impression figitive, un émoi du coeur, et parfois c'est la pensée de haut vol, la contemplation de l'éternité, ou l'effusion du passage. A vrai dire cela m'importe assez peu : je prends ce qui vient, je m'y complais, je m'y ragaillardis, je m'y enchante et m'y renouvelle. Que deviendrais-je, hélas, sans la visite du génie personnel, cet ami qui veille sur moi, qui me tire en avant, qui m'excite à vivre à neuf, qui dissipe le fatal engourdissement de mon esprit, lequel, sans lui, me mènerait au pire ?

Une amie lectrice m'interroge sur la solitude : quelle est la vraie solitude ? Est-ce l'isolement, la condition de celui que tout abandonne, qui se trouve sans abri et sans recours ? Celle-là, certes, est la pire. Mais j'évoquais dans les textes précédents une forme plus intime, qui n'exclut pas la première, mais qui touche au plus profond de chacun d'entre nous - encore que certains n'en aient peut-être pas la moindre perception : nous savons que nous n'échangeons qu'en surface, que nous ne mettons en commun que ce qui est communicable, qu'une universelle réserve limite inévitablement toute confidence, et qu'en somme nous voulons bien paraître - images, statuts, rôles, fonctions, positions et postures - mais que nous pouvous, ni ne voulons vraiment aller au de là. Il y a là une frontière que nous ne pouvons outrepasser, par décence, usage, conformité, mais aussi par prudence. En termes très généraux : le sujet apparaît et se dissimule sous les espèces de l'imaginaire et du symbolique, se réservant, pour son usage personnel, une complicité intime avec son "être". Il sent en quelque sorte qu'il y a de l'être, que cet être est plus précieux que tout, mais il ne le connaît pas vraiment lui-même. C'est un abri, c'est un recoin, c'est une réserve, c'est, plus prosaïquement, cette zone intime de la fantaisie incommunicable, des rêveries secrètes, "volupté des dieux et des hommes" (Lucrèce), fondement de tout ce qui a valeur existentielle, de tout ce qui, pour nous, mérite de durer à travers les aléas du temps. C'était là avant l'apprentissage du langage, cela continue d'exister sous la juridiction du langage, cela, j'en suis, sera là à l'heure de la mort. Un poète inconnu habite nos profondeurs, et comme les Titans repoussés aux rivages du Tartare, du fond des profondeurs il geint, gémit, gronde, tempête et jouit. C'est notre part obscure, mais c'est aussi la voix du génie inconnu.

Ces profondeurs ne sont pas toujours pacifiques et idylliques. C'est pourquoi la solitude, telle que je l'ai abordée ici, est souvent une difficile épreuve. Se reconnaître soi dans l'abri de la solitude c'est aussi avoir perdu beaucoup, notamment du côté de la reconnaissance publique. On sait que pour l'essentiel on ne peut compter sur personne, même si des mains secourables, de ci de là, se tendent pour vous soutenir. On sait qu'on naît seul, qu'on souffre seul, qu'on jouit seul et qu'on meurt seul. Cela relativise l'aide qui vient, quand elle vient. Mais ce qui nous donnera courage c'est ceci : de ce lieu, de lui seul, vient la vérité, de lui vient le génie, dans un sens fort prosaïque, je veux dire la créativité de la vie, le plaisir de l'art, la féconde ivresse du rêve, l'enivrement de la beauté. De cela témoignent tous les esprits féconds de notre histoire.

J'ajouterai, mais c'est là confidence quasi inopportune, que je le vis, ce génie, comme une intime blessure, dont l'origine et le sens me sont indéfiniment opaques, mais si vivace, si agissant, qu'en dépit de toute la souffrance qu'il m'occasionne, je ne puis un instant m'imaginer privé de son concours auquel je dois tout ensemble la grande douleur et la plus grande beauté.

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Commentaires
A
On pourrait aussi parler de la joie de la solitude. Toute chose à 2 visages.
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Y
Je trouve très beau et très engagé votre écrit. Il m'évoque les réflexions de Winnicott et je ne veux surtout rien "rabattre" en écrivant cela de la profondeur de votre témoignage. Cette solitude fondamentale s'obtiendrait grâce à la capacité de rêverie de notre mère lorsque paradoxalement elle permet à la pulsion de son rejeton d'advenir - à moins qu'elle ne soit pas en capacité d'être à coté de son enfant dans cette posture de tranquillité et de confiance. La solitude "sociale" n'est effectivement pas synonyme d'exclusion "chez soi", on a pu constater que certaines formes artistiques tel que le jazz ou le rap ont pu naitre dans des milieux très socialement dévalorisés. La solitude que vous évoquez que je vous propose de nommer "solitude fondamentale" pour bien la distinguer et la situer, est de nature différente de celle qui exclut le sujet de toute relation, bien que ... on sait grâce au psychiatre Jean FURTOS que dans les formes de grande exclusion, le sujet est parfois soumis à des redoutables processus d'auto-exclusion, lesquels prennent vraisemblablement leur source dans les pathologies du narcissisme. Le sujet devient capable de se considérer comme indépendant du groupe humain, il s'auto-aliène, il est comme congelé au niveau corporel et de la pensée, il se coupe de lui-même et vous faites précisément le chemin inverse. Pourquoi font ils comme ça si ce n'est pour se protéger de leurs conditions de vie extrême, pour survivre ? Souffrance et solitude vont de pair, vous le dites bien.
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