Le Chant des Origines, III, 6
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Comme placé aux bords de la mort éternelle
Demande-toi chaque soir ce qu'est ta vie.
Si tu n'existais plus comment serait le monde ?
Les fleuves continuent de couler, les montagnes
Dressent toujours leur cimes altières vers le ciel.
Non, rien ne serait changé : le monde
Demain comme aujourd'hui poursuit son cours.
Toi tu ne seras plus. Toi seul pour toi.
Tu auras passé comme passent les roses
Et nul ne se souvient plus de toi. A peine
Laisses-tu un nom à tes enfants
Qui passera de même.
Et ce monde lui-même, lui qui semble si stable
Si ferme dans ses fondements, un jour viendra
Inexorable, qui marquera son déclin, puis sa fin.
Calciné par les rayons brûlants du soleil
Il s'effondera dans l'immense brasier,
Il se consumera inexorablement.
La vaste nuit de l'univers
Etendra sur le monde un linceul de ténèbres,
Comme si jamais la vie n'avait fleuri
Aux rivages souriants de la lumière.
Ailleurs peut-être, en des temps incertains
La lumière à nouveau jaillira,
D'autres hommes, une autre Athènes...Mais quoi
Ce n'est qu'un rêve, et pour nous
L'aventure, depuis longtemps, s'est arrêtée...
Quand le cercle du temps sur soi se referme
Bouclant comme une nasse ce qui fut
Comme de petits chatons qu'on va noyer dans l'étang
Et qui à peine nés sont déjà morts,
Alors - qu'importe le passé ?
Beaucoup de temps, très peu de temps, cela revient au même
Si toute chose tôt ou tard
Se dissout dans l'inexistence.
Seul le présent, si bref soit-il, est bien réel
Puisqu'au présent succède le présent,
Que le présent ne fait jamais défaut,
Et que le fleuve enfin coule toujours
Charriant à l'infini des eaux toujours nouvelles.