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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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16 février 2016

PETITE MEDITATION sur la SOLITUDE du penseur

 

Je range, quant à moi, Siddharta Gautama dit Bouddha, non point dans les fondateurs de religion, mais dans les philosophes, à côté d'Héraclite, son contemporain, d'Epicure et de Pyrrhon. De même pour Lao-Tseu ou Tchouang Tseu. Je vois en lui un remarquable médecin de l'âme : diagnosticien et thérapeute. De ce point de vue il est de tous les temps, car ce qu'il enseigne ne aurait vieillir ni se dépareiller. Causes de la souffrance, moyens de soigner la souffrance, voilà l'essentiel de son enseignement. Mais de par l'exigence intérieure qui est la mienne, je ne saurais me déclarer bouddhiste car je ne puis me réclamer de la triple affiliation, des "trois refuges" que sont Bouddha, Le Dharma (la doctrine) et le Sangha (la communauté). Il n'existe nul refuge dans le monde tel qu'il est, il faut en prendre son parti. C'est une étrange position, plutôt inconfortable, de se tenir au plus près de ces penseurs qui disent l'essentiel, tout en maintenant une distance, qui n'est pas irrespect, prétention mal placée, forfanterie infantile, mais souci de liberté, et ouverture au risque. A vrai dire je ne cesse de les fréquenter, de m'en inspirer, de voyager en leur compagnie, mais je ne saurais me ranger sous une bannière sans avoir la mauvaise conscience de me trahir. J'en suis venu à penser qu'un philosophe est condamné à une forme de solitude invincible alors même qu'il voyage avec les meilleurs esprits de l'histoire universelle. Mais n'est-ce pas le lot de chacun, à naître seul, à souffrir et à se réjouir seul, à mourir seul, même au sein d'une foule, puisqu'il est seul à ressentir et vivre ce qu'il éprouve et ce qu'il vit. Les affirmations de sympathie, pour être plaisantes, n'y changent rien quant au fond : mon frère, si j'en ai un, ou mon ami, ou mon épouse ne peuvent mourir à ma place, et je doute que leur attachement aille jusqu'à m'accompagner dans la mort - ce qui, en sus, ne change rien à mon propre destin.

C'est une illusion tenace, et qui remonte à l'enfance, que de croire qu'il existe un recours à nos chagrins, qu'une bonne âme, ou une Providence, puisse faire autre chose, et plus, que de simplement écouter. Ce sera toujours à nous de décider, et si je demande à l'autre de décider à ma place, j'ai encore décidé : situation de l'enfant qui s'en remet à un père savant et compatissant. A l'inverse, il faut éviter les postures d'orgeuil, où l'on se pare soi-même de toutes les qualités, s'attribuant un savoir et un pouvoir que l'on ne possède pas. Si bien qu'on est décidément seul, et dans le même temps dépourvu des pleines qualités qui nous permettraient de juger et d'agir en conscience. Reste donc à se risquer, sans savoir ni garantie, mais avec la conscience d'agir selon soi. Je ne vois à cela nulle parade, ni recette.

Pour autant les enseignements des Grands ne sont pas inutiles. On s'y frottera, on s'y limera, on s'y décrottera tant et plus, détricotant notre présomption à la pince de leur pensée. Et quand ils disent des bêtises, cela arrive puisqu'ils ne sont que des hommes, on le leur fera savoir, à notre mode, n'hésitant pas à contester et admonester. C'est ainsi que l'on va, que l'on voyage, respectueux certes, mais sans complaisance. En dernier ressort, c'est moi qui ai raison, non parce que je serais plus malin que les autres, mais parce que je suis celui qui juge pour moi, et décide pour moi. Tant pis pour moi si je m'égare et me commets dans l'absurde. Au terme des termes, c'est toujours le réel qui a raison, lui le souverain juge de ce qui est et de ce qui n'est pas.

Il n'y a qu'un critère, au bout du compte, dans toutes les affaires humaines, c'est le réel. Je peux imaginer tout ce que je veux, me poser en divinité suprême si cela me chante, reste que, toutes affaires cessantes, je nais, je vis, je meurs. Que dire de plus ?

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Commentaires
K
Protagoras le disait déjà : “Ce que l'homme appelle vérité, c'est toujours sa vérité, c'est-à-dire l'aspect sous lequel les choses lui apparaissent.”<br /> <br /> <br /> <br /> Dit autrement : “L'homme est dans son propre délire”
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O
Je ne ma lasse pas de vous lire, Guy Karl. Peut-être sommes-nous très différents, ou très semblables, je ne sais, tant le ressenti humain est changeant, fluide, interchangeable… Mais concernant notre destin mortel, je me sens très différent de beaucoup : je vais mourir; c’est intégré; c’est loi de la nature. Dire que j’ai bien ou mal vécu; peu de temps ou longtemps, ne sont que vues subjectives qui dépendent de mon état psychique, sentimental. Je suis toujours étonnant par ceux qui déclarent la mort pur scandale; c’est le cas de Jankelevith. Je ne puis comprendre ce point de vu, probablement dû à des convictions religieuses. Et je suis toujours étonné de la peine profonde des gens à la perte d’un proche; c’était pourtant prévu. Oui, mais on aurait voulu que ce soit plus tard. Celui qui reste souffre de la rupture d’un lien; je ne ressens pas cela; ceux qui m’ont officiellement quitté sont pour moi toujours présents, bien que je sache que ce n’est que dans mes pensées; mais cela me suffit à mes sentir encore là, ici ou là, aujourd’hui ou demain. Ce qui fait notre différence avec un gorille est dû au langage articulé, à la langue dont la complexification a généré l’intelligence, et les mathématiques.<br /> <br /> S’il y a une leçon à retenir du Bouddha ou de cette tradition, c’est le détachement. Le détachement est la condition de la joie; ce qui ne signifie pas l’absence d’amour pour autrui : question de mesure.<br /> <br /> Selon que l’on considère le moi comme une substance qui devrait être éternelle (curieux désir) ou au contraire comme un assemblage provisoire dû au hasard composant avec la nécessité, moi contingent, ce détachement paraîtra ou non évident, naturel.
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S
Cher Guy,<br /> <br /> <br /> <br /> Voici un texte très fin, très juste aux accents de vérité indéniables. Tu as raison sur la nature des émotions que nous vivons nous sommes les seuls à les éprouver. Il n’y a pas de préceptes possibles pour décortiquer la souffrance : la douleur se vit mais ne se raconte pas.<br /> <br /> Les « grands »comme tu les nommes peuvent susciter en nous quelques échos, mais ils ne seront jamais dans une relation d’immédiateté avec ce qui m’habite, ce qui me fait rire, ce qui me fait vibrer, ce qui me fait pleurer ou ce qui me fait jouir.<br /> <br /> <br /> <br /> Ma mort sera toujours la mienne jamais celle de l’autre, n’est-ce pas ? Un privilège ?<br /> <br /> <br /> <br /> Bien amicalement cher Guy.
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N
Nous n'expérimentons pas la naissance donc de notre propre expérience , celle qui compte finalement, sommes nous vraiment né ou allons nous accepter les histoires que l'on nous raconte ? <br /> <br /> Tout le monde parle de la mort mais personne ne sait rien, les gens ont des points de vu extérieur a la mort mais en ont ils une expérience directe pour en parler ? nous savons juste avec certitude que le corps meurt mais quand est il de la conscience de soi, d'être ? elle pourrait être multiplié par 1000 alors pourquoi préferer croire qu'elle est annihilée ? parce que la pensée nihiliste et materialiste de la société moderne nous a conditionné mais par contre nous savons que nous vivons et que nous sommes toujours dans le présent, ici et maintenant, que nous ayons 16 ou 70 ans.
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D
Beaucoup de sagesse dans ce texte qui sonne très juste. Le philosophe sait non seulement qu'il est seul mais il sait aussi qu'il le sait, conscience d'abord douloureuse des situations-limites puis conscience possiblement créatrice. <br /> <br /> <br /> <br /> Le réel n'étant juge de rien, une vie de démesure tissée d'absurdités et de délires mégalomaniaques aura été tout autant réelle qu'une vie pleine de sagesse. Egalité absolue dans l'indifférence du Tout. Cela revient à dire que les choses ne peuvent valoir, en dernier ressort, que pour soi.
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