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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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18 mai 2015

De la VERITE HORS REPRESENTATION

 

Si la vérité est hors représentation

Alors toutes les représentations sont également indécidables - hors vérité, leur valeur réside dans l'opérativité, fictions utiles ou inutiles, nocives ou thérapeutiques. Quant à leur valeur morale éventuelle c'est la société qui en juge selon son état propre de civilisation, de culture, d'avancée ou de régression, pure convention normative.

Toutes les cultures reposent sur un impensé structurel, ensemble plus ou moins organisé d'options vitales, mythes, religion, art, savoirs, normes de parenté et d'alliances, visions du monde - fondement conventionnel, systéme d'idées-forces qui organise la vie publique, sociale, militaire, familiale, idéologique. Toutes ces représentations sont hors vérité, ce qui n'enlève rien à leur valeur relative - relative par rapport à d'autres qui se référent à leur propre système de valeur, et qui peuvent entrer en concurrence les unes avec les autres.

L'individu fait de même, tenu d'un côté par les normes culturelles, et susceptible dans les cas favorables de construire une éthique personnelle. Variations individuelles sur le thème universel de la représentation.

Bilan : la vérité est la grande absente de toutes nos constructions culturelles. Sans doute cela ne peut-il en être autrement : c'est la loi du langage que de nous séparer de l'être, d'instruire en nous tous une césure originelle que rien ni personne ne saurait recouvrir ou annuler. C'est dans cette scission que nous pouvons entrevoir ce qu'il en est de la vérité.

La vérité se profile à l'horizon de la scission : non pas un savoir sur le monde ou sur nous-même, mais la trace d'une expérience originelle oubliée, le réel ineffaçable de la coupe.

C'est dire que la vérité ne peut se formaliser dans un discours, ce qui la rabattrait dans un savoir formulable et transmissible. En toute rigueur on ne peut rien en dire, sinon ce seul fait patent et irrévocable : cela a eu lieu, cela détermine une histoire de l'oubli, dont les effets indirects se peuvent lire, parfois, dans les aléas, les crises, les ruptures de la symbolisation. Mais l'effet le plus massif de cette opération est un déni général, perceptible dans la croyance perdurante et quasi invincible selon laquelle la culture reposerait sur un fondement de vérité, sur de l'être - alors qu'elle ne repose sur rien, si ce n'est sur une convention injustifiable.

Les soldats allemands qui allaient au front en 14 portaient un ceinturon où était gravée la sentence "Dieu avec nous". Ils se croyaient assurés de l'Etre. Belle naïveté de la croyance ! Et qu'en était-il de l'autre côté du Rhin ? "Plaisante justice qu'une rivière borne" dirait Pascal.

Plus sérieusement : la vérité c'est l'être perdu, c'est ce réel qui fait qu'entrer dans le monde comme ek-sistant c'est consommer la perte de l'être, et se contenter dès lors du langage comme séparateur sans retour, et médiateur dans la nouvelle sphère d'une existence partagée : la culture, laquelle ne repose jamais sur la vérité mais sur les représentations communes.

Dès lors je me pose une question redoutable : quel est l'impact de cette découverte? En un sens cela ne change rien : le statut de la culture comme système de représentation n'en sera nullement affecté, et les hommes continueront indéfiniment à vivre de foi, d'espérance, de désir et de crainte. D'un autre côté, comment accorder encore à un système quelconque une valeur absolue, si tout système est incertain et contestable dans son principe même ? C'est ce péril que met à jour la réflexion de Nietzsche sur le "nihilisme". Dire "Dieu est mort" cela va plus loin que ce que l'énoncé énonce, car avec la mort de Dieu  c'est le fondement traditionnel de l'être qui se dérobe. Nous voici précipités dans le relatif, avec cette obligation vitale de créer un fondement conventionnel qui soit à la hauteur des défis redoutables de la postmodernité, auxquels ne répondent plus nos représentations, toutes issues d'une période révolue de l'histoire, celle des religions traditionnelles, des Etats-nations, des idéologies de l'expansion illimitée et de la mobilisation infinie.

"Dans le péril/Croît ce qui sauve" écrit Hölderlin. Puisse-t-il avoir raison ! Dans le péril extrême, sommes-nous capables de créer ce qui sauve, voilà la question.

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Commentaires
D
Il faut parfois savoir descendre au fond du fond pour mieux remonter. Personnellement, une destruction quasi totale du système sociétal (et j'entends par là économique, politique, etc.) ne me semble pas une catastrophe. Mais c'est là bien personnel. Rien de toute cette mascarade ne me manquera.
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G
Tout à fait. Mais si la chose est relativement faisable pour l'individu conscient et dynamique c'est une affaire qui concerne au premier chef nos sociétés, c'est du moins cette perspective que je voulais tracer dans le texte. Je pensais essentiellement au futur proche de l'humanité, coincée dans des contradictions quasi insurmontables - un ex nous voulons plus de croissance pour éviter les catastrophes sociales, et du même mouvement nous précipitons les catastrophes écologiques et planétaires. On veut ce qui mène au néant, c'est pour le moins préoccupant !
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D
Ce texte trouve en moi bien des échos.<br /> <br /> <br /> <br /> J'ai tendance à penser pour ma part que le nouveau fondement qui pourrait se substituer à la défunte croyance en la vérité, c'est à dire nous débarrasser de l'encombrante dépouille de toutes les normes arbitraires que la culture a voulu ériger en être, ce serait la conscience de notre créativité. La conscience que chaque singularité apporte une tonalité particulière dans la symphonie des humains qui tissent un monde en relation avec un être indéterminé (parce que donné à chaque forme transcendantale selon des déterminations différentes, c'est à dire formant avec elle un système unique). Ceci nous amenant éventuellement au constat suivant: nous sommes les dieux, il faut jouer. Encore une fois, Nietzsche avait, je pense, très bien perçu cela.
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