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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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7 avril 2014

ROMAIN ROLLAND expose EMPEDOCLE

 

 

 

Alors que la guerre fait rage tout autour de lui Romain Rolland médite l'enseignement d'Empédocle et croit lire dans le message du Grand Sicilien antique une frémissante leçon de vérité. Vérité double exposée en deux ouvrages différents, le grand poème "De la Nature" qui décrit les lois éternelles de l'univers, et "Les Purifications" qui exposent les raisons du grand malheur et dessinent un chemin de libération. D'un côté le cycle éternel, toujours renaissant des rapports polémiques de l'union (Philia) et de la discorde (Eris), de l'autre le mouvement de connaissance qui élève l'âme à la contemplation et lui assure, par la spiritualisation des passions, un accès à la liberté. D'un côté, tout revient éternellement, sans dépassement ni fin, version hellénique du samsâra, de l'autre, la libération de l'esprit. Reste la question brûlante : comment l'esprit peut-il se libérer si dans le mouvement éternel de l'univers, dans la roue implacable de la "nécessité" (Anangkè), aucune possibilité, aucune issue n'est offerte. Le poète appelle de ses voeux le triomphe définitif de l'harmonie, et de la joie (charis), mais il sait, dans le même temps, qu'il n'est aucune moyen de quitter le cercle infernal de la répétition. Romain Rolland évoque avec lyrisme le désir poignant de l'âme souffrante :

" O divine Harmonie! Je te vois poindre au loin, dans l'abîme de ma nuit, comme la lueur d'une étoile, par la déchirure des nuées. Je tends les mains vers toi. Les ténèbres te recouvrent et se rouvrent. Tu reparais, plus proche. Je te veux, je te veux! La nuit pâlit, et ta flamme m'aspire. Je suis à toi. Je t'ai. Tu me prends et je te prends. Je disparais en toi. O joie! Je suis au terme...

- Au terme? Il n'en est point. Retombe et recommence!".

Empédocle, Bouddha, Schopenhauer : nécessité, samsâra, vouloir-vivre. Trois versions de la même intuition. Même constat désabusé, même douleur. La ronde du malheur n'a pas de fin, toujours l'hiver succède à l'été, l'été à l'hiver, toujours ce qui naît est condamné à flétrir, naissance et mort se succèdent indéfiniment, il n' y a pas de sortie hors du cercle, pas de dépassement, pas d'échappatoire. "Partout s'étend, par l'ample puissant éther et dans l'immense flamme de la lumière, la Loi universelle, la Dikè".

L'homme, ni les dieux eux-mêmes, ne peuvent changer l'ordre du monde. C'était la conviction fondamentale, tragique, de l'hellénisme, à quoi répond, toute semblable, la conviction de Bouddha selon qui tout ce qui naît doit périr.

Mais l'homme, soumis à la loi du réel comme tous les êtres de la nature, dispose, c'est sa nature propre, d'un intellect qui lui permet de se hisser à la compréhension du tout (hen hapanta : un et tout), de comprendre sa participation au gigantesque mouvement du monde, d'y trouver une sorte de sérénité supérieure, fruit de la contemplation désinteressée. C'est l'objet du traité "De la Nature". Et surtout, dans les affaires de la vie, cité, vie familiale, conduite personnelle, il peut préférer l'amour à la haine, refuser la bain de sang, la guerre et les sacrifices, se purifier de ses propres crimes, et se convertir au culte de Cypris, la toute belle où

"les autels ne sont point souillés du sang répandu. Les hommes regarderaient comme la pire abomination, après avoir arraché l'âme du corps, d'en dévorer les nobles membres" (frag 136).

Au massacre universel, au culte abject de la violence Empédocle oppose la ferveur d'amitié, le noble service de la Belle Déesse de Grâce et d'Harmonie.

Choix éthique et poétique : s'il est vain d'attendre de la nature quelque félicité finale, il importe, dès aujourd'hui, de se libérer par la pensée et d'oeuvrer à la paix et à la beauté.

 

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Commentaire personnel à partir du Texte "Empédocle" de Romain Rolland, Editions Manucius, 2014 - vient de paraître et hautement recommandable!

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Commentaires
T
De la mort je ne sais rien.<br /> <br /> Si ce n'est que je spécule. <br /> <br /> J'émets des hypothèses non pas du but de l'existence mais de ce qu'il pourrait advenir après ma mort.<br /> <br /> Lacan de la bouche de Lucien Israël, aurait dit que de la mort, nous imaginons uniquement. Qu'elle était de l'ordre de la disparition. De la disparition de l'image. Du champs visuel ? De l'esprit ? De l'espace psychique de ma conscience ? Comme une partie retrouvant le Tout ? Ni retour au néant, ni anihilation, ou absorption. Mais disparition. Car des hommes qui me sont chers, vivent éternellement en mon esprit. Leur image à tout jamais, introjectée. Le corps depuis longtemps rongé par les vers.
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G
Les belles citations sont belles, mais elles ne sauraient remplacer l'inscription personnelle, inventive et risquée d'un sujet singulier dans une trame personnelle.
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C
La réalité n’a pas besoin de moi.<br /> <br /> Je sens une joie énorme<br /> <br /> A la pensée que ma mort n’a aucune importance. <br /> <br /> Alberto Caeiro (Alias F. Pessoa)
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