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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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8 avril 2014

D la FOUDRE : Romain Rolland

 

 

 

"J'ai toujours vécu, parallèlement deux vies, l'une, celle du personnage que les combinaisons des élements héréditaires m'ont fait revêtir, dans un lieu de l'espace et du temps, l'autre, celle de l'Etre sans visage, sans nom, sans lieu, sans siècle, qui est la substance même et le souffle de toute vie".

Deux vies parallèles, deux consciences, deux modes hétérogènes : la vie d'un sujet singulier pris dans les rêts du temps social, et celle de l'union indicible, de l'absorbtion dans le Tout, ici nommé l'Etre, mais un Etre sans qualités différentielles, indéterminé, "substance de toute vie". Romain Rolland est un frère en intuition, qui reprend à sa manière, et renouvelle la grande inspiration d'Anaximandre (apeiron), d'Héraclite (hen kai pan), d'Empédocle (hen apanta), et ici, nommément de Spinoza (la substance infinie, éternelle, une, unique, source de toute joie). Le passage cité ouvre un texte intitulé : "L'éclair de Spinoza", où Romain Rolland narre sa rencontre éblouissante avec le grand philosophe d'Amsterdam. Eclair de vérité, qui évoque sans ambages la Foudre d'Héraclite "qui gouverne toutes choses". 

La Foudre, parce qu'il s'agit bien d'une effraction brutale, d'un saisissement : ce pauvre moi embarqué dans la ronde commune, ressassant ses joies et ses peines, ses petits et grands soucis de l'heure, enfermé dans les déterminations précises de l'espace et du temps, soudain déchiré, désemparé et transi, entre l'angoisse et l'allégresse s'ouvre à une tout autre dimension, en un éclair se sent transporté dans "l'être unique, infini, l'être qui est tout l'être, et hors duquel il n' a rien". 

"Sentiment océanique" dira Rolland, ce qui irritera Freud, qui avoue ne rien sentir de tel et qui verrait plutôt dans cet émoi une manifestation tardive du narcissisme primaire. Nous touchons là une disposition fondamentale : les uns sentent, ressentent et témoignent, les autres ne sentent rien, et se moquent. Mais si nous écartons cette possibilité de sentir et de penser, c'est tout un pan de la culture qui s'effondre, et avec lui l'essentiel, peut-être, de la sensibilié philosophique.

Pour ma part ce sentiment est une évidence du coeur, mais aussi de l'intellect, ou plutôt du "troisième genre de connaissance" (Spinoza), celui par lequel l'esprit, dépassant les représentations rationnelles, espace, temps, causalité, accède à la conscience du tout et à la joie qui en est le signe. Il est étrange de voir - je parle pour moi - comment cette heureuse et béatifique disposition peut cohabiter avec le sentiment d'un "malheur du monde", d'une Atè inflexible, voire, comme chez Schopenhauer, d'un "obscur précurseur" antérieur à toute objectivation du vouloir-vivre, et qui en déterminerait obscurément et nécessairement les formes. Et de fait je balance sans fin d'un pôle à l'autre, tantôt joyeusement ravi et accueillant, tantôt assombri par les ravages de la répétition. Peut-être faut-il, une fois pour toutes, admettre l'ambivalence indépassable du réel, à la fois terrible et jubilatoire, indistinctement, là où notre faible pensée voudrait une claire séparation des genres.

C'est là, sans aucun doute, que le grand Ephésien est indépassable : qui veut la vie veut la mort, qui veut la création veut la destruction, qui veut la nouveauté veut la répétition, qui veut la joie veut la douleur. C'est faiblesse et sottise de croire que l'on peut avoir l'un sans l'autre, car le réel c'est la contrariété en acte, indéfiniment. Le paradoxe auquel nous voue la philosophie c'est la joie tragique.

 

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(Ce paradoxe, pour en donner une image concrète, se voit dans la nature : beauté ineffable du soleil couchant sur les Pyrénées - holocauste épouvantable des êtres luttant pour la survie et la reproduction).

 

 

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