Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
Archives
Visiteurs
Depuis la création 1 056 539
26 mars 2014

NATURE ET ART : HERMANN HESSE

 

 

Hermann Hesse : "Le monde nous gratifie de peu de chose à présent, il semble n'être que vacarme et angoisse ; cependant l'herbe et les arbres continuent de pousser. Et même si un jour la terre entière est recouverte de blocs de béton, le grand ballet des nuages se poursuivra dans le ciel ; ici et là des hommes continueront d'ouvrir grâce à leur art la porte d'accès au divin".

Que faut -il entendre par "divin"? Qu'est ce qui est divin? Le texte exprime clairement sa nature : c'est la poussée des herbes et des arbres, c'est le ballet des nuages dans le ciel. C'est la nature éternelle, ici symbolisée doublement, par la croissance (c'est le sens originel de natura, nasci : naître ; en grec phuein, phusis : croissance), laquelle ne saurait être durablement affectée par les turpitudes humaines - et l'éternelle agitation du ciel : nuages, soleil, lumière, orages, tourbillons alternant avec le calme et la sérénité. La nature est mouvement, création et destruction, éternellement. Elle nous fait mesurer, par sa perenne puissance, la caducité relative de nos entreprises de domestication, leur caractère passager, et par extension notre indépassable mortalité.

Je ne vois rien de religieux, de mystique ou d'irréel dans cette position de Hesse, plutôt un sentiment "océanique" d'appartenance au Tout, de confiance, d'adhésion à la loi supérieure de la nature. Sentiment qui fut si puissant dans la première philosophie grecque, chez Héraclite ou Empédocle, bien différent des effusions théologiques ou mystiques. Ce sentiment originel s'exprime dans l'image d'un kosmos, un monde habitable, véritable demeure des hommes, le même que celui que désigne Hölderlin lorsqu'il dit que "l'homme habite poétiquement la terre", et qui toujours se réfère à la dimension immesurable du Tout. La phrase de Hesse exprime une continuité d'inspiration à travers les siècles, rétive aux prétentions de maîtrise et d'arraisonnement de la nature. Non qu'il faille condamner l'humanité, mais la ramener perpétuellement à la source vivante, à la puissance fondatrice de toute culture, en dénonçant les dérives de la volonté de puissance, les ambitions pharaoniques d'une technologie sans norme, affolée par l'ivresse de la démesure.

Paradoxalement on pourrait soutenir que c'est la religion qui a ruiné le divin, nommément la region monothéiste, en opposant la surnature à la nature, en clivant l'opposition entre le créateur et la création, entre le spirituel et le matériel, entre l'âme et le corps, en introduisant jusque dans les profondeurs de la psyché cette contrariété fatale. Pour ma part j'ai tendance à concevoir l'histoire de la pensée, entre Platon et Heidegger, comme une gigantesque erreur de perspective, une longue névrose dont "la mort de Dieu" est l'ultime avatar, le dernier soubresaut. Encore que pour autant les racines du mal ne soient pas extirpées, puisqu'on voit de toutes parts des rejetons morbides continuer leur travail : le fantôme erre toujours, et sans doute faudra-t-il beaucoup de temps avant que naisse une autre sensibilité.

Pour Hesse, dans la ladrerie affigeantante d'un temps "qui nous gratifie de peu de chose, que le vacarme et l'angoisse" c'est l'art qui préserve l'accès au divin. J'aimerais le penser. Mais je vois, dans d'innombrables "oeuvres" contemporaines bien peu de beauté, s'il est inévitable que l'art reflète l'esprit du temps, s'en inspire et le présente dans ses manifestations essentielles. Qui, parmi les artistes, se réfère aujourd'hui à la beauté, quand il s'agit si souvent d'être original à tout prix, outrancier, provocateur, anxiogène et hystérique? L'art présente le monde tel qu'il est, et ce n'est pas la faute de l'artiste si ce monde est hideux. Au moins pourrait-il s'en affranchir, s'il en a le désir, et perpétuer la tradition innovante du beau. Bien sûr il y a de tels artistes, et il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Peut-être les voit-on davantage en poésie qu'en peinture, ce qui ne serait pas un hasard. La poésie se dégage spontanément de l'apparence immédiate, de l'image, des clichés de la perception, elle ressuscite la dimension symbolique, celle précisément qui est mise à mal par la dictature des images.

L'oeuvre de Hesse - qui ne connaît "Siddharta", "Demian" ou le "Loup des Steppes" et tant d'oeuvres remarquables et populaires - est un vibrant plaidoyer pour l'intelligence du coeur, invitant tout un chacun à faire ce travail intérieur de la connaissance de soi, à sonder ses propres contradictions, à les vivre pour les dépasser, en les intégrant, en les spiritualisant. Ce n'est pas un hasard s'il figure parmi les classiques, un des plus lus et commentés de par le monde. Il est clair que lui nous ouvre la porte, non du rêve de l'impossible, des billevesées de la fantasmagorie, mais de ce divin qui est la permanence, en nous et hors de nous, de la nature universelle.

Publicité
Publicité
Commentaires
C
"Toi le mystique, tu vois une signification en toute chose. Pour toi tout a un sens voilé. (…) Pour moi, grâce à mes yeux faits seulement pour voir,<br /> <br /> Je vois l’absence de signification en toute chose ;<br /> <br /> Je vois cela et je m’aime, puisque être une chose c’est ne rien signifier du tout. Etre chose c’est ne pas être susceptible d’interprétation."<br /> <br /> Alberto Caeiro (alias Pessoa)
Répondre
P
D´Hermann Hesse; est-il vrai de découvrir qu´il procédait un syncrétisme ; une fusion entre différents éléments de philosophie et de religion? Définition de Syncrétisme ;Système philosophique ou religieux basé sur le mélange de plusieurs doctrines différentes. <br /> <br /> Parlant de ces mélanges de Hermann Hesse est-il VRAI DE DÉCOUVRIR ; "Les syncrétismes religieux (christianisme, bouddhisme) et intellectuels (Nietzsche, Jung) qui s'y expriment sont la profession de foi de Hesse, fondée sur l'ouverture au monde, sur la découverte d'une transcendance où s'unissent la vie et l'esprit."<br /> <br /> Question ;n´y a-t-il pas anachronisme de méler Nietzsche à quelques philosophies transcandentales ou religieuse? Je ne comprends pas... Pour La position de Nietzsche au sujet de l´art et du monde c´est déjà beaucoup plus clair et moins nébuleux... Et puis pour la nature-art je trouve David Henry Thoreau; qui n´a rien de métaphysique mais qui parle avec grand amour du monde et de la nature... Monsieur Karl ; venez à mon aide s´il vous plait...; Pouvez-vous m´expliquer?
Répondre
P
J´en comprends le sens; divin... Je ne suis pas philosophe mais j´en sens le poids... De tout de poids qui depuis des millénaires , nous nous enfonçons sur nous-même à vouloir nous trouver sans avoir les pieds sur de la terre ferme... Divin dans la bouche du poète n´est pas ce de divin-là qui serait outil et communication dans celle d´un dogme ou d´un imprudent... Danger je pense pour ce qui arrivent et danger aussi pour ceux qui sont moins vigilants.... Voulons-nous nous connaître ou nous laisser étourdir par des divins d´apparence si légère et aux conséquences si lourdes.... Ps je ne connais pas Hesse; je débats.. Je ne cite pas; j ´experimente et cherche....et avec tout le respect nécessaire...
Répondre
P
(...) « Quant à ce qui est de la mort des Génies, j’ai entendu les paroles d’un homme qui n’était ni léger ni présomptueux. C’est Epitherse, le père de l’orateur Emilianus, dont quelques-uns de vous ont également suivi les leçons. <br /> <br /> Epitherse était mon compatriote, et il professait la grammaire. Un jour il nous raconta s’être embarqué pour l’Italie dans un vaisseau qui emmenait des cargaisons de commerce et un grand nombre de passagers. <br /> <br /> Quand vint le soir, comme on se trouvait en vue des îles Échinades, le vent tomba, et le navire fut porté par les flots près des îles de Paxas. La majorité de l’équipage était éveillée; plusieurs étaient encore occupés à boire et avaient fini de souper. <br /> <br /> Soudain une voix partie d’une des îles de Paxas se fit entendre; elle appelait à grands cris un certain Thamus. Tout le monde fut saisi d’étonnement. Ce Thamus était un pilote égyptien, et il n’y en avait pas beaucoup parmi les passagers qui le connussent, même de nom. Les deux premières fois qu’il s’entendit nommer, il garda le silence ; mais la troisième, il répondit à cet appel. <br /> <br /> Alors l’interlocuteur invisible, donnant de l’intensité à sa voix, dit : « Quand tu seras à la hauteur de Palodès annonce que le grand Pan est mort. » Après avoir entendu ces paroles, continuait Epitherse, nous fûmes tous frappés d’effroi, et l’on se consulta pour savoir si le mieux était que Thamus accomplît cet ordre, ou bien qu’il n’en tînt aucun compte et le négligeât. <br /> <br /> Finalement il fut convenu, que si le vent soufflait, Thamus passerait outre sans rien dire, mais que si l’on était retenu par un calme plat, il répéterait les paroles qu’il avait entendues. <br /> <br /> Quand le vaisseau fut auprès de Palodès, comme il n’y avait pas un souffle dans l’air et que les flots étaient calmes, Thamus du haut de la poupe, les yeux dirigés vers la terre, répéta les paroles qu’il avait entendu prononcer : « Le grand Pan est mort. » Il avait à peine fini, qu’éclataient de grands gémissements, non pas d’une seule personne, mais de plusieurs ensemble, et ces gémissements étaient mêlés de cris de surprise."<br /> <br /> Comme les témoins de cette scène avaient été nombreux, le bruit s’en répandit bientôt dans Rome, et Thamus fut mandé à la cour par Tibère César. Le monarque ajouta une telle confiance à son rapport, qu’il ordonna une enquête et des recherches au sujet de ce Pan. Les hommes éclairés qu’il avait en grand nombre autour de lui conjecturèrent que c’était un fils de Mercure et de Pénélope.»<br /> <br /> Plutarque (Sur les sanctuaires dont les oracles ont cessé)
Répondre
A
La ville, bâtie par l’homme, excite notre vanité, nous met en demeure d’agir aussi, de rivaliser, nous sommes à chaque pas traversés par la velléité de l’art ou de la guerre. Dans la nature, cette passion retombe et nous n’avons plus que le désir de trouver notre place sans troubler l’harmonie.<br /> <br /> Eric Chevillard (sur son blog)
Répondre
Newsletter
153 abonnés
Publicité
Derniers commentaires
Publicité