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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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20 juillet 2022

PHILOSOPHIE A DOUBLE FOND

 

Comme ces valises à double fond qu'on nous décrit dans les romans d'espionnage la philosophie de Schopenhauer présente deux niveaux relativement distincts : la donne fondamentale, à laquelle tout se rapporte, c'est la tyrannie du vouloir-vivre, d'où découle la souffrance, l'insatisfaction, l'égoïsme, la guerre universelle, la répétition, l'impossibilité du bonheur. C'est la dimension tragi-comique de l'existence dont il est à peu près impossible de s'échapper. On pourrait traduire : "quoi que tu fasses tu es fichu". Le seul échappatoire, accessible mais éphémère, toujours à recommencer, c'est la contemplation esthétique, où le tragique de la vie, transposé dans l'art, perd son caractère douloureux en se changeant en spectacle : cet avare sinistre qui tyrannise sa famille, présenté au théâtre, devient grotesque et farcesque pour notre plus grand plaisir. Si vivre est douloureux, voir et regarder, par la distanciation émotionnelle, par l'intensification de la connaissance, est source d'apaisement. C'est une définition nouvelle de la vita contemplativa. Je ne dirai rien, ici, des deux autres voies de libération, la morale de la pitié et l'ascétisme, que Schopenhauer a pensées, mais qu'il n'a jamais pratiquées. Au fond c'est un artiste, et nullement un sage, et un saint encore moins - heureusement pour lui, et pour nous !

Philosophie à double fond, disais-je. Après avoir rédigé son grand ouvrage, "Le Monde comme volonté et comme représentation" qui présentait la dimension tragique (on lui a durablement collé l'épithète de "pessimiste" qui ne se justifie qu'à demi), Schopenhauer aura le bon sens de distinguer, pour lui-même, ce qui relève du vivre et ce qui relève du penser, en renonçant à l'illusion de vivre selon la pensée, de vouloir à tout prix appliquer ses idées dans la vie quotidienne, de jouer au héros moral - comme l'avait fait un Jean-Jacques Rousseau se déguisant en Arménien, condamnant la ville au motif d'un retour à la nature, végétant dans de misérables chaumières, sans feu, sans eau, sans commodités, infligeant à Thérèse Levasseur sa compagne de lancinants séjours dans la solitude. A jouer de la sorte au prophète Rousseau se referme sur soi, et finit dans une sorte de paranoïa mélancolique. Rien de tel chez Schopenhauer : il est en bonne santé, il est bon marcheur, il a un appétit gargantuesque, un goût prononcé pour les danseuses et autres grâces, il n'aucune envie de mourir, et s'il a effectivement traversé plusieurs dépressions (en raison notamment de ses échecs éditoriaux et universitaires) il s'en est toujours remis, trouvant dans son travail d'écriture (c'est un des meilleurs écrivains en langue allemande) un ressourcement infini et salvateur. Et le voilà qui rédige sur le tard les "Aphorismes pour la sagesse dans la vie", une sorte de manuel à l'usage du quidam, pour le mettre en garde contre le pire afin de sauvegarder ce qui mérite de l'être : prendre soin de soi, se dégager de la dictature des opinions, se former à l'étude des grands classiques, éviter l'emballement, vivre au plus près, dans une sorte de retraite mentale, être dans le monde sans être du monde - autant de préceptes qui rappellent souvent certaines inflexions épicuriennes.

Double fond disions-nous. On peut bien penser le pire, mais est-ce une raison pour vouloir vivre selon le pire si de toute façon le pire est déjà là. Et pourquoi en rajouter, jouer le prophète fou qui annonce pour demain un incendie qui brûle aujourd'hui ? Sous le régime du pire, à défaut de mieux, on choisira le moins pire.

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Commentaires
K
Comment fait-on pour les distinguer ? Cela recouvre-t-il la différence entre le néant et la vacuité ?
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A
Toujours ces textes si plaisants du Jardin Philosophe qui donnent à penser et qui donnent envie d'y répondre...<br /> <br /> L'art, les classiques, l'à-côté du monde, sans être hors du monde, oui j'y adhère, mais j'aime aussi ceux qui brûlent leurs semelles, qui prennent l'air vif, piquant, - chaud ou froid, qu'importe, au fond des rivières pour y trouver l'indemne, le jaillissant.
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X
Philosophie du triple fond : tragédie de la vie, sagesse pour soi-même, dépassement
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