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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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10 juin 2022

LE PHILOSOPHE EST-IL UN ARTISTE MANQUE ?

 

Je ne sais plus qui, dans un mouvement d'humeur j'imagine, a déclaré que le philosophe est un artiste manqué dont la création est un substitut d'oeuvre d'art. Voilà qui appelle quelques remarques :

Il me semble juste de rapprocher la philosophie de l'oeuvre d'art plus que des productions de la science, encore que de nombreux philosophes, et parmi les plus éminents, aient voulu à la science emprunter les méthodes pour parvenir à la certitude. Tentatives admirables mais vaines, car il n'y a pas de certitude, hormis la mort. Pour autant le philosophe est-il un artiste ? Un artiste manqué ? Il est artiste dans la mesure où il extrait de sa nature propre, de son tempérament, de ses tendances fondamentales une création expressive, singulière, que nul autre ne saurait produire, marquant de son sceau, de son style, les productions innovantes de son esprit. Le vouloir-vivre c'est Schopenhauer et nul autre, ni avant lui ni après lui. Il est original comme l'est le peintre qui révèle pour la première fois un aspect négligé, inaperçu du réel. Du philosophe, comme du peintre, on peut dire, selon la formule de Max Ernst : "Il ne peint pas le visible, il rend visible". Mais à la différence du peintre, le philosophe ne se contente pas du visible, même élargi ou renouvelé, il se réfère à l'instance de la vérité, quel que soit le domaine envisagé. Avec ce paradoxe sans doute indépassable que la vérité s'enracine dans une subjectivité, assumée ou niée, pour tendre vers l'universel. Je vois le vouloir-vivre en moi, dans mon corps, dans mon esprit, je reconnais sa terrible puissance, et de là, par une extension fantastique, je le pose comme principe agissant dans tous les êtres vivants, plus encore, dans l'ensemble de la nature. Extrapolation inouïe, injustifiable et grandiose, qui fait le philosophe, et que ne ferait jamais l'artiste.

Pourquoi dès lors soutenir que le philosophe est un artiste manqué ? Il serait un artiste manqué si son projet était celui de l'artiste, et que par insuffisance de talent, par manque de génie, il ne pût atteindre à la perfection, se rabattant dès lors sur un genre inférieur, comme aurait fait Platon, qui, après quelques essais dans le noble genre de la tragédie, se serait rabattu sur ce mixte bancal du dialogue qui allie l'écriture littéraire à la réflexion philosophique, le mythe poétique au raisonnement rationnel. Mais il faut souligner ce fait : le premier objectif du philosophe n'est pas la beauté de la forme, la brillance littéraire ou l'expressivité poétique, c'est de créer ce quasi-monde, cette puissante architecture de l'oeuvre en faisant chanter toutes les fibres de son être au contact d'un réel insaisissable et omniprésent.

Quoi de plus bouleversant, de plus originel que les oeuvres de ces tout premiers penseurs de la Grèce, Héraclite, Empédocle et quelques autres qui sont à la fois, pleinement, poètes et philosophes, parce qu'ils parlent depuis l'origine. A ce titre ils sont éternellement vrais.

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Les artistes sont des philosophes manqués.
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