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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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11 novembre 2013

Du SUJET et du PLAN d' IMMANENCE

 

 

A quoi reconnaît-on l'existence du sujet? A ceci qu'il se présente dans le monde, à la surface des choses, qu'il jaillit du plan de l'immanence indifférente pour y poser, par la parole ou l'acte, un mode subjetif d'affirmation de soi. Tel est Ulysse, s'éveillant d'un long sommeil aprés son naufrage, et s'avançant vers les jeunes filles qui jouaient sur le rivage :

   "Comme un lion nourri dans les montagnes

   S'en va par la pluie et le vent, assuré de sa force,

   Les yeux en feu, il fonce sur les boeufs, sur les moutons

   Et les biches sauvages, car son ventre le talonne

   Jusque vers l'enclos bien gardé pour y chercher sa proie". (Odyssée, VI, 130 à 134)

Les jeunes filles, prises de peur, s'enfuient en grand désordre, à l'exception de Nausicaa, qui, inspirée par Athéna, lui fait face sans trembler. Alors Ulysse s'adresse à elle en ses termes :

  "Reine, j'embrasse tes genoux! Es-tu femme ou déesse?

  Si tu es une des divinités du vaste ciel

  Tu ne peux être qu'Artémis, la fille du grand Zeus

  A en juger par ta beauté, ton port et ton allure!".

Heureux ces temps lointains du paganisme grec (1) où l'on se demandait, à la vue de l'étranger, s'il était un lion des montagnes, un dieu ou un homme! C'est que ces différenciations qui nous sont évidentes ne l'étaient nullement dans un monde de l'immanence universelle, dans un régime de vie qui alliait les trois ordres dans une commune présence. Le divin était l'expression sans fard de la pure nature, aussi Ulysse, comme le fleuve, ou le dieu, était-il appelé le divin Ulysse. Tout être, qu'il soit végétal, animal, humain ou dieu, est divin en tant qu'il exprime sa propre nature dans sa manière d'être, son ethos, son caractère propre, son port et son allure. Le seul contraire du divin serait l'artificiel, le controuvé, le spécieux, vices et déformations des vertus naturelles. Etre soi, agir à partir de soi, exprimer et communiquer les vertus de sa propre nature, c'est en cela que consiste essentiellement l'éthique, éthologie naturelle de l'ethos.

C'est en ces termes également que Héraclite définit l'homme : daïmon anthropô ethos, le caractère de l'homme c'est son daïmon, ou plutôt : pour l'homme son ethos c'est le daïmon. Et l'on se souvient que le daïmon, c'est le génie propre, assimilable à la divinité, le dieu intérieur.

Dans cette lignée ouverte par Homère et Héraclite on pensera que le sujet, inspiré par son daïmon, est le mode selon lequel s'exprime la vérité "naturelle" d'un "être du monde" - ou plus exactement d'un devenir singulier qui se présente et s'affirme, chacun dans son style singulier. Ulysse est divin, parce qu'en toutes choses qu'il fait, il est Ulysse reconnaissable à son style, qui n'est pas celui de Nestor ou d'Achille. On ne peut comprendre la personnalité d'Ulysse qu'en se plaçant pour ainsi dire à l'orée de ses paroles et de ses actes, à partir de leur surgissement original, dans une sorte de participation intuitive - et surtout pas à partir de nous-mêmes, en l'objectivant dans la re-présentation. Il faut lire Homère en poète, c'est à dire en communiant avec l'acte poétique d'Homère, en essayant de vibrer et de sentir les choses à partir de son inspiration singulière. Et de même pour tous les poètes, qui dessinent un monde à partir d'une expérience unique, mais qui nous reste partiellement intelligible.

Le sujet se présente tel qu'en lui-même, il ne se re-présente qu'au prix de se perdre, ratatiné dans l'exsangue de la chosification. 

De là, enfin, une vision de la surface d'immanence : des sujets multiples, irréductiblement singuliers, les uns à côté des autres, voire les uns contre les autres, comme font Achéens et Troyens, avec tantôt des alliances, des retournements, et très souvent la rivalité et l'affrontement, plan du polemos universel, lutte pour la vie, vouloir-vivre et vouloir de puissance, avec aussi, de ci de là, des oasis de lumière et des jardins de poésie. 

Nulle part je ne vois de réalité hormis celle-là.

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(1) Cette page est partiellement inspirée de Barbara Cassin "La Nostalgie", chapitre sur Ulysse

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