Tout à la fin il ne reste que l'ESPACE et le TEMPS
"Tout à la fin il ne reste que l'espace et le temps".
A la fin de quoi ? Des représentations imaginaires qui saturaient l'espace de crainte et d'espoir, selon le vecteur temporel du désir. Cela se voit fort bien dans la peinture d'autrefois qui organisait le champ perceptif autour d'un personnage central, qui, les yeux levés extatiquement vers le ciel, délivrait un message d'espérance : "vous qui souffrez ici bas du besoin, de l'insatisfaction, du désespoir, voyez là-haut, voyez par delà toutes vos misères, voyez la lumière du Très Haut". L'espace est divisé entre l'ici et le là-bas, le haut et le bas, et le temps de même entre le maintenant et le plus tard. Et entre les deux secteurs, pour favoriser le passage, une "bonne nouvelle" exprimée par un personnage canonique ou un symbole : un oiseau, une croix, une lettre. Dans l'iconographie bouddhique on trouve tantôt Bouddha en personne, tantôt l'éléphant, figure emblématique de la constance, de la fermeté d'âme, de la patience et de la sagesse.
Ces organisations de l'espace et du temps expriment très naturellement la structure du désir qui fonctionne par oppositions binaires : le proche et le lointain, le bon et le mauvais, le faste et le néfaste, la prise et le rejet. Bon objet et mauvais objet. Ce qui n'interdit pas le retournement : le mauvais peut devenir le désirable, et inversement. Ce renversement, quand il s'intensifie, prépare à terme, par une sorte d'équivalence des valeurs, un épuisement final : d'autres représentations apparaissent pour remplacer les anciennes, ou alors, plus tardivement encore, c'est la structure qui s'effondre.
Il est très difficile de concevoir un espace neutre, sans pôle d'attraction, homogène, infini, continu, "surface absolue" indéfiniment étendue dans toutes les directions. Un tel modèle renverse toutes nos évidences en distribuant les corps dans l'immensité, sans source assignable et sans finalité. Dans un tel espace tous nos projets révèlent leur caducité, encore que, pour autant, nul ne puisse sérieusement s'empêcher longtemps d'y projeter ses fantasmes, la géométrie palpitante de ses valeurs.
Même analyse pour le temps - et peut-être plus encore pour le temps : comment concevoir un temps parfaitement neutre, impersonnel, indifférent, où le futur n'accomplit pas le présent, ni l'invalide, suite indifférente de moments qui glissent les uns dans les autres, temps continu, infini, étranger à jamais à nos calculs, à nos espoirs et à nos craintes.
"A la fin il ne reste que l'espace et le temps" : cela nous pouvons, par la réflexion, le concevoir. Mais aussi, à certains moments, c'est plus qu'une idée, c'est une certitude vécue : nous voyons les choses comme elles sont, hors jugement. C'est le moment de clarté. Certes, nous ne pouvons constamment nous maintenir au niveau de cette vérité, si étrangère à la logique ordinaire de la vie, mais au moins nous apprenons à nous déjouer de nos illusions, et peut-être, dans cet écart, trouver une forme nouvelle de contentement.