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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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16 avril 2013

ALE-THEIA : la danse de la déesse

 

 

Je tourne autour d'un trou.  C'est l'indicible, l'apeiron fondateur. Non pas un Khaos, car le Khaos n'a pas de bord. Le bord c'est le langage, l'ensemble des signifiants qui font une chaîne, pas forcément continue, ni méthodique, ni systématique, gravitant autour du trou. Cette chaîne est elle-même trouée, puisque la nature du langage c'est de disposer des éléments les uns à côté des autres, mais avec des ruptures, des blancs, des liaisons en pointillé par où passent des souffles, des vents, des mouvements, des énergies pulsionnelles, des intensités inconnaissables. De plus la chaîne est ouverte aux deux bouts, car la raison, l'origine de la chaîne échappe à la signification, ainsi que son terme. Je ne sais d'où je parle ni quel est l'ultime destination, pas même quel est le véritable destinataire, à supposer qu'il en existe. Tout cela fait un aimable bricolage, pas un Savoir, même si d'innombrables éléments de savoir sont portés par la chaîne, enkystés, inexplorables. Peut-être cela fait-il une certaine image convenable de ce qu'on appelle le système psychique, où les éléments inconscients déterminent assez largement les positions et la valeur des éléments conscients. L'essntiel est que la chaîne tienne, non pas immobile, mais constante et résistante en dépit des variations, elles mêmes nécessaires à l'adaptation et à la création. Structure ouverte, mobile, évolutive. Le pire serait une structure saturée, figée dans la clôture de l'idée délirante qui enchasse toutes les représentations dans l'Un : idée fixe, indéboulonnable et mortifère.

Reste que le principe de toute connaissance est de réduire le trou, de poser de nouveaux éléments tout autour, avec l'espoir de saisir un jour l'ultime fondement. Espoir vain et futile, car le trou, de sa nature, s'approfondit, se dérobe à la perforation, à la perlaboration. Plus je sais moins je sais, au regard du moins de ce que j'espérais. Cela se vérifie assez bien dans les sciences où tout progrès de connaissance ouvre de nouveaux horizons : le progrès est un cul de sac qui avance. De même pour la vie psychique, où l'analyse renvoie interminablement plus avant, relançant le processus à l'infini. Cela dit, les résultats de la progression ne sont pas nuls : il vaut mieux savoir quelque chose sur ses propres projections que d'être ignare, et déterminé par l'inconscience. D'un côté il est des savoirs qui réduisent la souffrance - comme de mieux s'y retrouver dans sa propre histoire - et de l'autre qui les éternisent. Mais ce ne sont pas les mêmes : savoir que la jouissance est limitée par la nature même de l'organisme physicopsychique est une délivrance à l'égard du désir illimité (Epicure), mais savoir qu'il est un non-savoir radical et insurmontable est une souffrance nouvelle qui relativise toutes nos représentations, desespère nos espoirs. Il faudra une thérapie supplémentaire pour guérir de cette déception. La seule solution est de s'y résoudre, de calmer nos appétits par une sorte de jeûne mental, en laissant ouverte la béance, bref en sacralisant le trou. C'est une conversion  assez étrange de l'esprit, qui débarrassé des illusions religieuses, des dogmes et des articles de foi en  vient à renouer, sur le plan profane, avec une idée fondamentale des religions : il y a de l'autre , il existe une forme d'altérité irreprésentable, irréductible, inconnaissable, à laquelle nul savoir ne mène. Hic non saltus. Ici tu ne peux sauter. L'abîme est définitif. C'est ce paradoxal savoir que j'admire dans Démocrite, et dans Pyrrhon plus encore, lorsqu'il déclare que les choses (il ne dit pas les objets) sont immaîtrisables et sans critère, comme dans la vacuité bouddhique. Toutes nos connaissances butent sur ce skandalon, qui constitue une sorte de "fatum", le dit (le fatum, de "fari" dire) qui ne dit pas la Chose, mais son impossible.

Reste encore ceci : a-lètheia c'est la vérité du dévoilement, nécessaire mais inachevable, toujours relatif, toujours suivi d'un revoilement, d'un recouvrement structurel. Mais également alè-theia, la danse divine, danse de la déesse, voiles et dévoilements enchantés, danse érotique, pulsionnelle et poétique, danse des mots et des images autour du trou, paradoxal autel inviolable où brille la flamme inextinguible du Sacré.

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