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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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12 avril 2013

Un IMPROMPTU : à l'ami lecteur

 

 

Un lecteur dira peut-être : "Vous citez Epicure, vous faites des présentations tantôt de Schopenhauer, de Nietzsche, de Freud ou d'Empédocle, mais vous, où êtes-vous dans tout ce fatras philosophique, qui êtes-vous donc, et que voulez-vous?" -"Ma foi, répondrai-je, je suis partout dans tout ce que j'écris. Parler de tel ou tel c'est expérimenter sa pensée, interroger ses motivations, conscientes et inconscientes, voyager quelque temps en sa compagnie, vivre en symbiose avec lui, partager ses enthousiasmes et ses dégoûts, bref vivre d'une vie plus intense d'autant que les philosophes sont de sacrés lascars, tous passionnants sur le plan humain, des originaux, mi-artistes, mi-savants, et fichtrement ignorants par ailleurs, tous épris de quelque Muse inaccessible, hautaine et souveraine. "J'ai pris la beauté sur mes genoux, mais elle n'a pas voulu de moi!". Comment ne me reconnaîtris-je pas dans ces portraits sur pied, partageant avec eux une certaine passion de savoir, et de ne pas savoir, car dans cette affaire, où est le vrai, ou est le faux? Peu importe au fond, c'est le cheminement qui compte, et les échecs, les déconvenues valent bien les réussites. A prendre les choses de haut il n' y a pas de certitude, hormis la mort, mais ça ce n'est pas rien! J'aime voir comment les penseurs se débrouillent avec leurs manques, leurs obsessions - voir comment Descartes par exemple, obsédé de certitude, se construit une cathédrale de règles pour enserrer le monde dans les filets de la rationalité. Comment Spinoza, l'épineux, observe les mouches prises dans la toile de l'araignée, et en tire la vision de la nécessité universelle. Et Schopenhauer avec son caniche, qu'il appelle Atman, l'âme du monde! Les petits détails, les anecdotes croustillantes ou  grivoises valent bien les grandes constructions physiques et métaphysiques. C'est bien ce que Diogène Laerce avait compris!

Mais ce n'est pas assez de convoquer les philosophes au banquet de la vérité. Je les écoute, j'applaudis ou je siffle, mais je parle d'autant! Et cela doublement. En interrogeant, en commentant, mais surtout en bagenaudant de ci de là, en vaticinant, en jardinant mes pensées selon ma propre indiosyncrasie - le lecteur un tant soit peu attentif en saura long, au détour d'une phrase, au son d'une mélodie, au creuset d'une confession livrée en catimini, dans le décours d'un  raisonnement faussement rationnel, dans tel lapsus glissé comme par maladresse et soigneusement pesé, dans tel rêve raconté, visant à illustrer  un propos difficile. Je ne suis pas avare de confidences, et j'aime assez mon lecteur, encore que je ne le connaisse pas mais fasse comme si je le connaissais, pour jouer avec lui, déjouer ses opinions, le surprendre, le choquer parfois, et toujours l'éveiller à quelque nouveauté. Je hais les discours, j'aime la parole, envolée, légère, cabotine, enjouée, chatte et renarde, décalée, agaçante ou enjoleuse : "papillon du Parnasse", Muse capricieuse, toujours femme jusque dans ses incartades viriles! Bicéphale enfin, inclassable!

J'en dis bien plus qu'il n' y paraît. Depuis que Schopenhauer a introduit le sujet personnel dans la philosophie, rompant aves des siècles d'austérité rationnelle et de discours pompeux (à l'exception toutefois des poètes-philosophes antésocratiques), tout un chacun, philosophe amateur, c'est à dire qui aime, se voit justifié à dire "je", à soutenir sa propre parole personnelle, à la faire vivre dans sa présentation vivante, à revendiquer la liberté du sujet actif et créateur, ce qui renouvelle totalement le genre : essai, aphorisme, poème circonstancié, libelle, pamphlet, dithyrambe : moins de discours et poésie en sus, ou plutôt à la source! Entre philosophie et poésie faut-il choisir? Que nenni! Retrouvons l'inspiration des premiers maîtres, les Héraclite, les Empédocle, les merveilleux poètes de l'originaire!

Non, ne me dites pas que je sois absent de mes textes. Si tel est votre propos, il est injuste, et vous me lisez mal. L'exhibition est une bien maladroite façon de faire, et je la condamne sans réserve. Mais l'impersonnalité, qui se donne à tort pour de l'objectivité, ne vaut pas mieux. Il n'est pas d'énoncé sans énonciation. Toute la question est de savoir qui est celui qui énonce, est-ce une pesante opinion controuvée qui se fait passer pour originale, est-ce le discours du temps, est-ce l'intérêt d'une caste, ou le politiquement correct? Qui parle? Et comme il y a toujours quelqu'un qui parle autant que ce soit un sujet vraiment sujet de sa parole, qui s'assumme dans son dire, qui se réclame de sa véridicité, qui soit l'auteur de soi.

A certains moments de doute, et j'en ai hélas, je me pose la question de la valeur : que vaut ce galimatias philosophico-poétique que j'assène à mes malheureux lecteurs, si je ne suis ni radicalement novateur, ni érudit, ni patenté par quelque autorité externe, si, en un mot, je ne m'autorise que de moi-même? Mais la réponse est dans la question : s'autoriser de soi n'est-ce pas la seule manière d'exister digne de l'être parlant?

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Commentaires
P
L'exhibition de votre écriture est courageuse, Continuez d'oser !!!<br /> <br /> Nous lecteurs sommes exaltés et enrichis de votre expérience philosophique et littéraire.
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A
Bonsoir guy,<br /> <br /> <br /> <br /> Quel enchantement de lire un tel article aujourd'hui!<br /> <br /> Je me souviens que l'un de nos profs pour nous expliquer comment débuter en philosophie, nous avait dit qu'il fallait "frotter sa pensée à celles des philosophes".<br /> <br /> Bon je conçois que l'image du silex fasse quelque peu "néanderthalien", mais ma foi, c'est pourtant cette image très terre-à-terre qui m'a fait comprendre comment aborder les textes philosophiques. Et c'est alors que j'ai découvert tout ce que pouvait la pensée...<br /> <br /> Je pense profondément que lorsque nous commençons à lire de la philosophie, c'est un bouleversement qui nous poursuit tout au long de notre vie; nous ne serons plus jamais les mêmes, nous serons presque obligés (pardonnez-moi pour l'obligation) de cultiver et d'assumer pleinement ce décalage qui nous enrichit sans fin, ce décalage qui ressemble et rassemble toutes les libertés.<br /> <br /> <br /> <br /> Mille mercis à vous, pour cette belle et joyeuse philosophie pratique que nous percevons dans vos mots et entre les lignes.<br /> <br /> Portez-vous bien!
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