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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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26 janvier 2010

LA LUMIERE PHILOSOPHIQUE

"Que tous les sites sacrés de la terre soient assemblés autour d'un site, et la lumière philosophique autour de ma fenêtre, voilà maintenant ma joie". C'est dans ces termes énigmatiques, et singulièrement expressifs que Hölderlin exprime la condition de son nouveau bonheur. "Tous les sites sacrés" : entendons les innombrables sites où souffle le vent, où croît la végétation, où courent les rivières, où paissent les vaches et les chevaux, où les cimes des montagnes élèvent la pensée vers l'Illimité. Où la perception des éléments comble d'allégresse l'âme du poète. Mais tous ces sites sont rassemblés autour d'un site unique, centrifuge et royal, là précisément où demeure le poète, dans une région bénie des dieux, dans une maison calme et pensive, près d'un ruisseau, sous les arbres méditatifs, en congruence poétique avec la sérénité retrouvée. Et le Tout "autour de ma fenêtre", "la lumière philosophique autour de ma fenêtre" : admirable expression qui lève en moi des émois et des rêveries infinies ...Lumière du Sud, lumière toute grecque, même dans l'éloignement de l'Aquitaine, car pour le poète toute lumière philosophique est d'essence grecque, de qualité grecque. Souveraine gloire d'Apollon, ici, à quelques pas de l'Océan, "l'ébranleur du sol", comme dit Homère pour qualifier Poseidon. L'Océan tourbillonne, comme les vents du vaste lontain, emportant les aventuriers, vers les Amériques aux arbres géants, vers les gouffres et les abîmes. Hölderlin n'a-t-il pas caressé, enfant, le rêve des espaces infinis, des contrées sauvages, à la rencontre d'étranges humains au plus près de l'état de nature? Mais le voici assis à sa table d'écriture, méditant Sophocle et Pindare, décidé à créer une tragédie moderne qui ne soit pas indigne des Anciens. A vrai dire il ne sait plus trop s'il veut écrire une tragédie, car l'esprit de la modernité le pousse plutôt vers l'Hymne pindarique, aux amples mouvements libres, et seule apte à rendre compte, selon lui, de l'esprit du temps, de ses tensions, de ses promesses troubles, et de son incertitude.

"La lumière philosophique, autour de ma fenêtre..."On raconte que des visiteurs qui s'étaient rendus auprès d'Héraclite le surprirent dans sa salle d'aisance, en bien humble assiette, comme le premier venu, s'occupant de choses toutes ordinaires. Et le grand sage leur dit, en toute simplicité :"Ici aussi habitent les dieux". Dans l'extrême intimité, comme dans le vaste monde, les dieux sont toujours là, présents pour le poète. Il sait rassembler autour de lui, en lui, la lumière, et la lumière est la philosophie même, pour qui est Grec.

La lumière c'est le plus "commun", non au sens de la vulgarité, ou de la facilité. Le commun c'est ce qui fonde la communauté humaine sous l'éclairage, mieux, sous l'éclair du divin : le Feu du Logos. Lumière du jour, mais celle-ci qu'est elle, sinon l'envers prodigieux de la grande Nuit? Le poète connaît et l'une et l'autre, et dans son âme les contraires se combattent sans fin et s'harmonisent. Il a su explorer les abimes de la  vérité, et la vérité encore, du jour : jour-nuit, c'est tout un. Mais aujourd'hui il se fait l'amant de la lumière qui joue au rebord de sa fenêtre, qui illumine le pin dans la cour, réjouit les enfants qui jouent aux dés en criant, en se querellant comme de petits moineaux. Le poète écrit quelques vers, et se laisse à nouveau gagner par la rêverie... Là bas, la Grèce, des îles miraculeuses, des anses de soleil et de corail où jouait Aphrodite, entre les rochers, et Nausicâa, riant, boucles blondes au vent, sur la plage. Entre deux larmes il revoit sa chère Diotima, son amour impossible, lui sourire avec mélancolie. La reverra-t-il jamais? Sa dernière lettre l'inquiétait fort. Sa santé chancelait. Et lui, ici, si loin de l'adorée. Ah que ne pût-il l'embrasser à distance, la serrer dans ses bras, une dernière fois! La nuit, gravement, tombe sur le poète, l'enserre de toutes parts dans son éteau. Alors il ressaisit son exemplaire de Pindare, il relit quelques vers, et retourne à son propre ouvrage : la tristesse, et la mélancolie, certes il les connaît, mais elles ne doivent pas l'emporter, elles doivent nourrir son oeuvre, et non le détruire.

"Une année encore, une année, accordez moi, ô Muses

Avant que le sombre Orcus ne m'emporte là-bas"

Soi,t il est seul. Et même son pays bien-aimé ne sait que faire de lui, se détourne de lui. Mais il baigne dans la lumière philosophique, il est l'amant des Muses, et les Muses ne l'abandonneront pas. "Ici ausi, dans cet humble logis, vivent les dieux".

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