CORPS-UNIVERS (5 à 11))
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J'ai fait le deuil de l'image du corps
Imagez-vous sous la forme improbable d'un nuage. Est-ce là figure humaine ? Mais après tout, que savons-nous de l'homme ? Et si l'homme n'était que la solidification d'un mythe ?
Problème de perspective. Défaites la vision ordinaire. Dissolvez les attaches et les habitudes, laissez flotter, et voilà que se dissout toute unité, toute forme. Je ne suis plus nulle part - ou encore - je suis là où l'on voudra, suivant telle image, telle pensée, tourbillonnant, évanescent et toujours renaissant.
Serais-je un nuage ? Un papillon ? Un archipel de bactéries, une colonie d'îles, un essaim, un amas galactique ? Toutes ces images me conviennent, et beaucoup d'autres encore.
Par la dissolution de la forme j'accède à une autre vision, très proche du rêve ; je multiplie à l'infini les perspectives, pour me ranger enfin à l'ordre commun de la nature, qui, en deçà des formes visibles, se génère et se détruit, se compose et se décompose dans un tournoiement infini.
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Le corps-esprit est une espèce de poème formé de bric et de broc, infiniment mobile, décentré, merveilleusement dynamique, adaptable, épousant toutes les formes, tous les mouvements, toutes les postures, tantôt nuage, tantôt pluie, soleil ou firmament, plage, pierre, feuillage, ciel, terre, gaz, cataracte, fleur de tournesol, araignée, vague ou chrysanthème.
Mais s'il abandonne toute structure fixe, il n'en est pas moins quelque chose, différent des autres choses, singulier absolument, en tous points original. Et ce quelque chose s'organise autour d'une béance, d'un trou, mais un trou mobile, toujours déplacé, insaisissable, tantôt en bas, tantôt en haut, à droite, à gauche, sur les bords, au milieu, partout et nulle part. Libido flottante qui traverse le corps de mille courants, recomposant sans fin une unité multiple et tentaculaire, pieuvre incandescente aux mille bords et mille bras, Shîva protoplasmique et rayonnant !
Nébuleuse à mille soleils parcouru de spasmes et de cris, avec un grand trou noir inexpugnable, imprévisiblement épars, qui lui confère un quasi-centre sensible et paradoxal.
Tel est le corps-esprit : un amas galactique désordinaire, dérivatif, qui a nom : Désir.
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FRISSON
Gélatine et gésine
O cela court miraculeusement
Frisson le long de vos deux bras
Depuis le cou
L'épaule
Au creux des reins
Alizés de douceur, tendres plaines, collines
Je ne sais rien de beau qui ne coule
Miel, et vapeur, et brise
O floraisons
J'ai parcouru les profondeurs salines
Vie et mort transfigurées
Hérault des deux royaumes
Je suis ressuscité!
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HYMEN
De l'ombre à la lumière
Inversement
Aller, venir, entrer, sortir
Franchir l'hymen de porcelaine
Douce toile araigneuse ouverte et refermée
Dans les deux sens
Et ne jamais rester.
Je te salue corps de femme
Océanique, céleste et tellurique
O plages, criques de sel, corail
Forêts d"émail de cire et de résine
Flux et reflux depuis l'échine
Guidant la main du voyageur
Au labyrinthe où la mémoire se perd
Ah mourir, et renaître, encore, encore
Ne jamais s'arrêter
D'aimer!
9
Gauguin partout!
La végétation roule ses sphères
Flammes couleurs des tahitiennes
Sarraux sertis de pierre, oeil d'écureuil
Entre les branches
Le vert tournoie sur le toit des cabanes
L'ombre s'écrase
Ajourée d'ocre dansant
Le ciel voltige entre les feuilles
La sieste traîne comme bruit de mer
Au loin...
- le miroir de la belle qui se coiffe
Troue le citronnier noir de sa lame.
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TOSCANE
Toute la profondeur remonte
A la surface
Plus de fond !
La peau
Ouverte comme un beau tapis d'orient
Tapis volant
Avec cent mille trous pour happer les étoiles
Cent mille couleurs pour épater les oiseaux
Plus de viscères
Le poumon est un potiron rose
Le coeur une citrouille
Les intestins se dévident à travers le ciel
Comme une corde à montgolfière
Je flotte doucement dans les airs
Les archanges chanteurs et baladeurs
Me tirent de l'orient à l'occident
Je suis le Christ ressuscité
Le monde est un tableau de la renaissance toscane
Les églises ont explosé
Les pierres des mausolées roulent par le vide immense
La Madone sourit aux lèvres de la lune
Ma religion à moi
C'est une grande peau sensible
Aux dimensions de cent mille univers !
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Sensation avant tout !
Quelque chose s'émeut, vibre, résonne
Cordes du corps tirées, tocsin,
Sentir comme s'il fallait mourir
A la seconde !
Puis la caresse encore, la brise
Aspiration délicate de l'air
Lèvres gourmandes étonnées
Fleur de bouche
Chevelures d'humus et de pétales
Partout
Aiguilles perforantes, stridentes
Les sensations travaillent la surface
Et dissolvent le corps transi dans le feuillage.