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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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4 novembre 2022

LE MONDE-AUTRE

 

Le monde-autre n'est pas l'autre monde.

Partir pour l'autre monde c'est trépasser. L'autre monde est le monde de la mort - mais peut-on parler de monde ? Le survivant qui s'angoisse du décès d'un proche, ou se réjouit de la destruction d'un ennemi, ne peut faire autrement que de mettre en images le sort du disparu, évoquant en effet un lieu hors lieu, un tribunal, des officiants, des juges, des rétributions. La mythologie décrivait avec force détails le séjour infernal, le sort des trépassés, la toute-puissance d'Hadès, appelé ironiquement Pluton, "le riche", monde lugubre qui inspirera cette plainte à Achille : "Plutôt être un pauvre laboureur sur la terre que de régner ainsi sur le royaume des Ombres". En un mot, de cet autre monde nul ne veut, s'il est sensé.

A l'autre monde infernal s'oppose l'autre monde céleste. Certaines traditions orphiques et pythagoriciennes affirment que l'initié qui a vécu selon le bien, qui a purifié son daïmon au cours des cycles successifs de l'existence, à sa mort rejoindra la cohorte des dieux bienheureux. Voyez Empédocle (fragment 147) :

     "Partageant le foyer des autres immortels, à la même table,

     Eloignés de la douleur des destinées humaines, indestructibles".

Enterrer les morts c'est les enfouir dans la profondeur. Brûler le cadavre c'est, croit-on, libérer l'âme par le feu. De toutes les manières l'opération du mourir laisse un reste, soit la dépouille, soit la cendre, soit l'âme, un quelque chose (un objet petit a ?) qui garantirait le passage d'un état à un autre, et qui, par là, autorise toutes les spéculations, comme la rédemption du corps ou la réincarnation de l'âme. L'autre monde c'est la projection imaginaire de la survie.

Pour nous évidemment il n' y a qu'un seul monde, qu'une seule nature qui gouverne toutes choses, y compris l'existence humaine. On peut bien rêver tant et plus, cela ne change rien à cette vérité de base : nous naissons, nous éprouvons, nous mourons. C'est ainsi que Lucrèce, par exemple, remarquait que Tantale ou Prométhée sont des images, non de quelques déités déchues, mais de notre existence présente rongée par les passions funestes.

Pas d'ailleurs - rien que de l'ici. C'est la première vérité tragique.

Mais alors pourquoi parler d'un monde-autre ? N'est ce pas confusion, errance et fantasmagorie ? Non pas, c'est le pari de ce qu'on nomme "sagesse". Ce monde-ci en effet, tel qu'il est perçu, compris, entretenu par les hommes, qu'est-il d'autre qu'une vallée de larmes, un asile d'aliénés, un bagne, au mieux un purgatoire ? Voyez la politique internationale, l'industrie de l'armement,  la misère des uns et l'opulence des autres, la gabegie et le gaspillage organisé, l'incurie des dirigeants, l'hébétude des dirigés, et partout la rapacité, la sottise et la cruauté. Diogène d'Oenanda disait plus sobrement : "La plupart des hommes sont malades de fausses opinions sur les choses" - ce qui cause de douloureux attachements et de fâcheux comportements. Ce n'est pas même un jugement moral, c'est un point de vue psychiatrique, car comment qualifier tout cela si ce n'est folie, la folie ordinaire qui nous tient tous plus ou moins. Que faire ? Réduire les attachements, distendre les liens, faire un pas de côté, se désengager, se dépréoccuper : "Je sais qu'il n'existe qu'un seul monde mais je ne suis pas de vôtre monde. J'affirme une distance du corps et de l'esprit, un droit naturel de réserve, une inaliénable singularité, sans laquelle il ne peut exister de liberté ni de créativité". C'est cela le monde-autre, par lequel peut fleurir la beauté, comme une rose délicate éclose de côté, loin du fumier puant de la névrose collective.

 

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