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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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2 septembre 2022

DES CHOSES SELON PYRRHON V

 

Et voici la conclusion de notre petite enquête (je cite toujours le texte d'Aristoclès qui rend compte de la position pyrrhonienne à travers le témoignage de Timon) : "Pour ceux qui se trouvent dans ces dispositions, ce qui en résultera, dit Timon, c'est d'abord l'aphasie, puis l'ataraxie".

Remarquons d'abord la fréquence insolite, dans le corpus conservé, des mots qui commencent par le A de la privation (plutôt que de la négation) : a-katalepsia (non-saisie) ; a-diaphoria (non-différence) ; a-phasia (non-parole), a-taraxia (absence de trouble) ; a-patheia (non-passion) etc. Cela exprime bien la logique interne de cette philosophie, à savoir que la souffrance des opinions fausses, et le cortège des malheurs sont hélas la donnée de base, la"pathie", la "taraxie" dont il faut se délivrer, non pas en basculant mécaniquement dans la position inverse, mais en conquérant la position de l'écart où affirmatif et négatif s'égalisent dans la non-différence.

Le premier résultat c'est l'aphasie. L'ataraxie vient ensuite. L'aphasie manifeste, en tant qu'abstention volontaire, une défiance générale à l'égard du langage. Ne croyons point que le mot exprime l'essence de la chose ou que l'Idée soit l'être véritable de la chose. Ces constructions controuvées qui prétendent saisir l'être ou la substance ne sont que du vent. S'il n'existe que des apparences, mieux, des apparaître, des événements, des choses qui brillent et qui passent (phainomena) notre parole ne fait qu'ajouter du vent au vent. Mais alors, le pyrrhonien va-t-il se réfugier dans un silence perpétuel ? Pas forcément, encore qu'il puisse souvent préférer la compagnie des gorets à celle des humains. S'il parle ce n'est pas pour dire quelque chose sur la nature de ce qui est, puisqu'il n'y a ni être ni nature - ce sera pour anéantir la position dogmatique, sans concession, sans reste. Les contemporains signalaient que Pyrrhon était un redoutable débatteur, expert dans l'art polémique. On se souvient que dans l'expédition d'Alexandre en Asie il avait suivi partout le fameux Anaxarque, dit le Bienheureux, maître de sophistique. 

C'est le langage qui véhicule les opinions, les croyances, les représentations mentales. On ne peut lui faire confiance, il ne dit rien des choses qui apparaissent, il ne saurait être tenu pour l'outil de la vérité, à supposer que l'on veuille conserver ce mot de "vérité", qui ne convient pas du tout pour caractériser la pensée de Pyrrhon. Le seul usage légitime du langage c'est la déconstruction du dogmatisme. Pour le reste, à défaut de dire, on pourra faire signe vers l'en deçà de tout discours, où règne le silence.

Dès lors le passage de l'aphasie à l'ataraxie est logique : une fois détruites toutes les représentations il reste le pur réel des apparences, sans idées, sans concepts, sans jugements - l'évidence sensorielle, la présence du présent sans attente. Si tous nos troubles viennent de nos représentations, l'a-taraxia sera la condition et la marque de la liberté.

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