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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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25 août 2022

DE LA SOMNOLENCE

 

La somnolence a mauvaise presse. On l'assimile volontiers à de la faiblesse d'esprit ou au gâtisme, tout en lui reconnaissant une certaine valeur, à la condition expresse de ne pas en abuser. Celui qui travaille, qui conduit sa voiture, qui doit parer à quelque danger est sommé d'être pleinement éveillé, les sens en alerte, l'esprit vif et le coeur vaillant. On peut bien somnoler le soir après dîner et de la sorte se préparer au sommeil. On relâche les tensions, on laisse l'esprit flotter au gré, on vogue doucement vers les délices de l'inconscience. Mais nul, s'il est sensé, ne recommanderait la somnolence dans le cours ordinaire de la vie.

La pleine perception, croyons-nous, est nécessaire en situation de risque. C'est le régime en ondes bêta, régime d'alerte et d'efficacité. Mais cela revient à dire que notre vision du monde, pour l'essentiel, est déterminée par la peur, le souci de la parade et de la sécurité. Les choses sont perçues, enregistrées, classées en favorables, défavorables, dangereuses ou neutres : dans cette classification ce qui importe n'est pas la nature propre de  la chose, sa phusis, mais l'intérêt pour nous, son utilité ou sa nuisance. On pourrait aller jusqu'à dire que la perception ordinaire est à la fois pragmatique et paranoïaque - exprimant de manière inconsciente et perdurante la position risquée de l'homme dans un univers indifférent à son bien-être. Tant qu'on ignore les lois qui commandent l'ordre de la nature on projette toutes sortes de fictions destinées à boucher les trous de l'édifice universel (Auguste Comte).

Mais le chasseur fatigué d'avoir tant marché, couru, fui ou attaqué, laissons-le s'asseoir sur le seuil de sa tente, promener au hasard ses yeux sur la plaine, revenir lentement à soi, à son corps endolori, à son humeur, laissons-le rêvasser, caresser de beaux souvenirs de prairie, de courses exaltantes, de chasse et de prise, et bientôt le voilà qui somnole, ses yeux se ferment à demi, se rouvrent tantôt et se referment : le monde alentour a perdu son aspérité, son tranchant de guerre et de mort, et le corps même du chasseur se fait corps de rêveur, mêlé sans réserve à la douce tiédeur, à la transparence du monde. L'opposition, la contrariété, la multiplicité, la différence même s'égalisent dans le tissu mouvant et chatoyant de l'unité retrouvée.

Dans l'état de somnolence ce sont les ondes alpha qui gouvernent. Voyez comment les enfants passent si vite du régime bêta au régime alpha : ils s'arrêtent, s'immobilisent, on les voit rêvasser tout éveillés, à la fois présents et absents, ici et ailleurs. Cette faculté de détachement et de rêve nous l'avons tous puisque nous étions des enfants, mais nous l'avons repoussée et oubliée ; mais aussi nous pouvons la retrouver et la cultiver. Il faut réapprendre à se dépréoccuper, à revenir à soi, à laisser filer l'imagination, à se faire réceptif, à se laisser couler, à se diluer dans l'immense.

La somnolence n'est pas identique à la méditation, mais elle en est très proche. C'est peut-être le premier degré par lequel il faut passer pour aller plus loin. Mais pour la plupart des gens ce serait déjà un changement très remarquable, dont la portée philosophique, généralement ignorée, mérite pourtant d'être soulignée.

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Commentaires
D
jai eu vu nombre de juges somnoler en audience !!!!! et il a pu arriver à moi meme d'en faire autant!!!
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