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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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1 mai 2020

DERIVES, grandes et petites

 

Il y a les grandes dérives : Alexandre, Colomb, Napoléon, nouveaux continents, extension et intensification. Celles-là enthousiasment les foules, tant qu'elles sont du bon côté. Nul ne se soucie des vaincus, qui ont perdu la parole avec leur terre.

Et puis il y a les dérives minimales : l'ermitage à flanc de mont, le jardin à l'orée de la ville. Semi-clôture, resserrement, le rosier et la fontaine.

De toute manière l'issue est la même : retour à la poussière.

Lacan parlait de "moisissure" pour qualifier la vie : une légère, fragile excroissance qui retourne au non-être. C'est cela sans doute qui nous inspire l'horreur la plus extrême, la révolte de l'intellect et les fantasmagories de l'imagination. "Je ne suis pas ce corps misérable et périssable, ce mourir perpétuel, cette suspension comique ou tragique au dessus du vide. J'ai une âme, je suis cette âme, et par cette âme je survis à la mort du corps, je me ris des turpitudes et des misères de la chair, je suis né pour l'immortalité".

Par les grandes dérives nous prétendons nous hisser au dessus du lot commun, immortaliser ce nom, qui n'est qu'un bruit, une "inanité sonore" résonnant quelque temps dans le silence des siècles, avant de s'éteindre, comme le reste. "Vanité des vanités...".

Achille refuse la vie tranquille et sereine pour la gloire immortelle. Mais, après sa mort, comment jouirait-il de la gloire ? La belle afffaire, en effet, de vivre dans le souvenir des autres si soi-même on n'y est plus ?

On choisit les dérives minimales lorsqu'on a compris ces choses. D'avoir connu soi-même les grandes tentations, de s'être essayé à quelque tentative de l'extrême, d'avoir essuyé force déconvenues et déceptions, on choisira le plus simple, le plus immédiat : 

    "Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage

    Ou comme cestui-là qui conquit la toison,

    Et puis est retourné plein d'usage et raison

    Vivre entre ses parents le reste de son âge !"

Ce qui fait le caractère propre de la vieillesse, son âpreté et sa noblesse, c'est le savoir incontestable de la proximité de la mort. Cela change radicalement la perception du temps et la modalité du désir. La courbe de la vie, qui auparavant s'élançait naturellement vers l'extension et l'intensification, se ramène à présent vers l'origine, bouclant la boucle, investissant doucement cet espace minimal, à l'orée des choses, à l'orée de la lumière. Ce n'est pas un mouvement régressif comme on pourrait croire, on ne redevient pas un enfant, mais, délesté de ce qui pèse et aliène, on choisit librement de se tenir au plus près : toujours me viennent, à ce moment, des images bucoliques, un arbre dans le pré, un vallon, des chevaux, quelques ânes, des oiseaux, plus bas une rivière, des roseaux qui se balancent au vent.

Un citadin peut-il se tenir au plus proche ? Pourquoi pas ? Méditant dans le calme, ou contemplant le ciel par sa fenêtre, il saura faire silence dans son coeur, et retrouver en lui-même la source proche d'où monte doucement la lumière.

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