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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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11 mars 2019

UN BIEN IMPERISSABLE ? - Spinoza

 

"Je résolus enfin de chercher s'il existait quelque objet qui fût un bien véritable, capable de se communiquer, et par quoi l'âme, renonçant à tout autre, pût être affectée uniquement, un bien dont la découverte et la possession eussent pour fruit une éternité de joie continue et souveraine".  C'est dans ces termes que Spinoza définit son projet philosophique, aprés avoir expérimenté la déception que procurent les supposés biens qui excitent ordinairement la convoitise, comme les plaisirs des sens, la richesse et la renommée.

Un bien qui soit véritable et non frelaté, qui se puisse communiquer, qui détourne des autres biens, et qui assure "une éternité de joie continue et souveraine". Voilà qui m'interroge : n'est-ce pas là rechercher l'impossible ? N'est-ce pas se condamner, dès le début, à un échec, d'autant plus douloureux encore que le désir est fort, la démarche exclusive ?

La formulation elle-même invite à convoquer la tradition religieuse pour laquelle seul Dieu est vrai, éternel, source unique de la plus haute joie. Mais on peut y voir aussi un écho de la philosophie antique : le philosophe est invité à se détourner des faux biens pour se consacrer à la recherche du Souverain Bien, même si par ailleurs les écoles divergent sur la définition de ce Souverain Bien. Mais peut-être faut-il se dégager de ces références, supposer que la formulation classique dissimule un projet tout différent, que les termes utilisés sont des approximations, voire des masques métaphoriques. Le discours traditionnel doit être réinterprété.

Je remarque d'abord que dans le cours ordinaire de la vie il n'existe aucune satisfaction continue, et qu'il n'existe aucun moyen, hormis la chute définitive dans le délire de l"imbécile heureux", de s'assurer d'une telle satisfaction. Même le fameux Souverain Bien des philosophes relève du voeux pieux, ou de la menterie. Ce que nous expérimentons c'est la variation des conditions et des humeurs, des hauts et des bas, des succès et des échecs, et je ne vois pas comment il en pourrait aller autrement. Même le simple bonheur humain semble se dérober à la prise.

Il faut en conclure que ce bien dont parle Spinoza se situe à un tout autre niveau : peut-être faut-il penser qu'il puisse exister en même temps que l'incertitude et la variation notées plus haut, comme si l'esprit pouvait se rapporter à la pensée du bien véritable alors même qu'il est affecté, comme pour tout un chacun, par les aléas du monde et de la psyché. Le bien véritable ne sauve ni ne libère des affects, mais il se maintiendrait comme un ciel serein au dessus des flots.

On sait que pour Spinoza l'accès à la joie se fait par la connaissance de Dieu comme Nature : deus sive natura. L'esprit est invité à renaître dans un processus de reconnaisssance de soi dans la connaissance de la nature éternelle. C'est la connaissance du "troisième genre" où les choses sont connues sous les espèces de l'éternité.

A l'identité empirique prise dans les réseaux des causes et des effets, affectée de mille manières selon l'ordre des causalités, s'opposerait une identité autre, par laquelle le sujet pensant se comprendrait comme une nécessité incluse dans la nécessité universelle, par où il peut affirmer : "nous sentons et nous expérimentons que nous sommes éternels" - éternels et non immortels, ce qui serait une regrettable confusion. En tant que mode fini l'homme naît et meurt, mais par sa pensée il se rapporte consciemment à la nature éternelle, et par là il peut vivre la plus haute joie.

Une petite confession personnelle pour finir - car enfin pourquoi la philosophie si ce n'est pour expérimenter librement et dûment - il m'arrive de penser ainsi, comme Spinoza nous y invite. Mais je ne puis m'y maintenir bien longtemps. C'est trop demander, et trop faire confiance à la pensée, selon moi. Quelquefois c'est l'émotion, et l'émotion esthétique au premier chef, qui me semble ouvrir les portes d'un monde immense, éternel et insondable. Alors ce n'est pas dans le plein d'une intuition totale que j'entrevois le réel, mais tout au contraire dans cette béance ouverte dans le moi, trou du réel, par où filtre une étrange lumière.

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Commentaires
D
Chers amis,<br /> <br /> Sans entrer trop dans le détail, il est essentiel de rappeler que la raison est dans le système de Spinoza une passion. Il n'y a pas différence de nature entre les deux. De même, il n'y a pas de parallélisme ; le corps et l'esprit étant une seule et même chose considérée sous deux attributs différents. Si l'esprit est actif, le corps est actif et inversement. Tenter de connaître une part de sa réalité psychique ne va pas sans la connaissance d'une part des affections de son corps. C'est donc une seule et même chose.<br /> <br /> Il s'agit bien là d'en finir avec ce que Nietzsche appellera "l'idéal ascétique" et la mortification du corps prônée par les religions et l'idéalisme.<br /> <br /> Quant à la question de la joie, elle n'est pas moins un enjeu psycho-éthique que celle de la haine. Toute la question étant, à mon sens, de savoir si prendre conscience de certains mécanismes modifie quelque peu le jeu psychique et ses polarités fondamentales.<br /> <br /> Enfin, il me semble important de soigneusement distinguer le plan éthique, ce que peuvent les individus en fonction de leur idiosyncrasie et le plan politique qui implique un discours autrement adapté. Spinoza s'y emploie avec beaucoup de finesse, me semble-t-il, là où Hobbes oppose à la force individuelle, la totalité des forces dont le monarque est l'expression dans la figure tutélaire et écrasante du léviathan.
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S
Chers amis,<br /> <br /> <br /> <br /> J’avais choisi voici des années de m’appesantir quelque peu sur la philosophie politique de Hobbes : le vilain petit canard de la philosophie politique anglaise, partisan de l’absolutisme et non de la monarchie absolue. En effet, cher Frédéric, il faut se rappeler que Thomas Hobbes écrit à l'époque où la guerre civile anglaise sévit et oppose violemment le Parlement au roi. <br /> <br /> <br /> <br /> Raison pour laquelle, il posera l’alternative suivante : du point de vue de la science politique Hobbes dira que n’importe quel régime est préférable à l’anarchie, mais du point de vue de la prudence il est préférable de mettre en place une monarchie.Un monarque qui aura la possibilité d’avoir des conseillers privés, précision importante qui argue que le philosophe de Malmesbury défendait l’absolutisme et non le pouvoir absolu.<br /> <br /> <br /> <br /> L’homme est un champ de forces, de « pulsions », c’est là le conatus hobbesien ( endeavour : effort) . Il est traversé par des puissances qui peuvent se contrarier. Pour autant, il est nécessaire que les « passions positives » puissent émerger et aller dans le sens de la vie, grâce à la parole et à la raison qui reconfigurent l’ordre nécessaire des choses. <br /> <br /> <br /> <br /> Hobbes précurseur de Spinoza ? <br /> <br /> <br /> <br /> « L’homme est un loup pour l’homme », certes, Juste un petit rappel : Hobbes écrira dans une dédicace à son ancien élève le conte de Devonshire dans l’édition de 1642 aussi, que "l’homme est un dieu pour l’homme".. <br /> <br /> <br /> <br /> Chacun pourra tirer son interprétation.<br /> <br /> <br /> <br /> Bien amicalement,
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F
Cher Guy,<br /> <br /> <br /> <br /> Ce n'est pas seulement la croyance au salut en ÉTHIQUE V qui a causé en moi un détachement solide à l'égard de Spinoza, mais le fait qu'il avait occulté dans son anthropologie ce que Hobbes avait dévoilé dans la sienne, à savoir que les humains sont des animaux qui prononcent des discours, autrement dit des corps parlant. Avec son parallélisme étendue/pensée qui établit une fantasmatique connexion des choses et des idées, Spinoza rate ce que Hobbes voit plutôt bien: la raison est un discours pragmatique des passions. Tantôt elle parvient à s'en émanciper — le savoir scientifique, au sens large, en est l'usage calculant —, tantôt elle s'y soumet mais peut donner lieu à une prudence — de type épicurien. La peur de la mort violente, par exemple, est sans doute à l'origine du choix prudent du pacte social, d'un sage calcul, donc. <br /> <br /> Pour le dire brièvement, je crois que Hobbes a été perdu de vue parce que moralement mal vu pour ses thèses politiques, son monarchisme absolutiste. Mais il ne faut pas oublier qu'il eut à subir autant de persécution de la part des autorités religieuses que Spinoza. <br /> <br /> Bon. Tous mes propos sont un peu fouillis. Mais, oui, le LÉVIATHAN est un monument de la philosophie classique — bien plus agréable à lire que ÉTHIQUE. <br /> <br /> <br /> <br /> Amitiés,<br /> <br /> <br /> <br /> Frédéric
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G
Cher Frédéric,<br /> <br /> Cette intervention éclairée me fait redécouvrir un auteur - Hobbes - que je connais assez mal, hormis la théorie politique, et qui mérite certainement une étude plus poussée.<br /> <br /> Par ailleurs je conserve une estime intégrale pour Spinoza, même si je ne partage pas certaines de ses vues : la plupart des auteurs classiques me semblent en retrait par rapport à certains des penseurs grecs qui avaient remarquablement déblayé le terrain. Mais il est vrai que la victoire de l'obscurantisme religieux aura tout obscurci. Faut-il prendre au sérieux l'idée d'un Dieu-Nature ? Est-ce Dieu ou la Nature ? Il me semble qu'il faut choisir. De même pour l'intellect divin qui contiendrait et déterminerait tout intellect individuel. Ce sont là des vues que je ne puis faire miennes.<br /> <br /> C'est décidé : je vais fair un tour du côté de Hobbes.
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F
Chers amis béarnais, <br /> <br /> <br /> <br /> C'est indûment qu'on attribue la paternité de la notion de CONATUS à Spinoza. Elle est déjà à l'œuvre chez Hobbes, penseur de la mécanique naturelle, pour qui le monde est un théâtre anarchique de forces ou un théâtre de forces anarchiques. Le conatus, ou le désir, est cet élan qui pousse l'humain vers la satisfaction du manque — satisfaction sans frein et sans limite — et, par là, au choc violent contre d'autres conatus, bref, à la guerre de tous contre tous. <br /> <br /> <br /> <br /> Ce qui, à mes yeux, fait la supériorité de Hobbes sur Spinoza, c'est son indifférence à la question de la sagesse ou du souverain bien ou de la joie. Même dans une cité ordonnée et gouvernée de telle sorte que la sécurité de tous est instaurée, tout le monde continue de trembler, sachant que le prochain est un ennemi potentiel. Cette idée selon laquelle la société régie par la Loi n'est en aucun cas un " serenus locus" et, donc, que les humains ne se délivrent jamais de la peur, "passion triste" dirait Spinoza, évite de tomber dans l'illusion de la béatitude ou de l'amour intellectuel de Dieu — fantaisie conceptuelle que Spinoza sort de son chapeau au Livre V de Éthique et qui bluffe bien des esprits désireux de croire dans le salut de l'homme. <br /> <br /> <br /> <br /> Amitiés sous un ciel printanier,<br /> <br /> <br /> <br /> Frédéric
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