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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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10 octobre 2016

De l'APPARENCE : le Siècle de Louis XIV

 

Pour supporter les ardents assauts de son royal amant - Louis XIV avait une haleine de sanglier entretenue par une extraordinaire gloutonnerie, sans parler de l'absence totale d'hygiène corporelle - Madame de Montespan plaçait un mouchoir parfumé sur sa bouche ! Joli symbole d'une époque incroyable que nous appelons aujourd'hui encore le Grand Siècle. En toutes circonstances, joyeuses ou désastreuses, il faut sauver les apparences, comme l'atteste encore l'édification de la place Vendôme, d'une belle architecture classique, belle façade imposante qui dissimulait le désordre sordide des bâtiments, des salles, des cours et des arrière-cours. Et le reste à l'avenant. La majesté triomphante, l'éclat de la Cour, la beauté des jardins, le faste des spectacles, tout coucourt à sauvegarder l'image d'un règne solaire, quand par ailleurs la famine ravage les campagnes, la guerre et les impôts détruisent la prospérité, que la révolte gronde, que la noblesse se ruine, et que la France perd, entre les guerres, la famine et la fuite des protestants, plusieurs centaines de millers d'habitants. Jusque dans l'extrême du désespoir - le roi perd successivement son fils, son petit fils et deux arrière petits fils, alors que la succession paraissait merveilleusement assurée - Louis conserve une singulière dignité et majesté, tout du moins à l'extérieur, alors qu'en privé on le voit de plus en plus abattu, attristé, voire mélancolique, pleurant quelquefois dans les bras de la Maintenon, la reine morganatique - au témoignage de cette-ci, et selon quelques autres, assez rares au demeurant. Il fallait une singulière force pour se maintenir de la sorte, pendant cinquante quatre ans de règne effectif, mais aussi, peut-être une extraordinaire image de soi, plus forte que toules les offenses d'une réalité souvent accablante. Problème séduisant pour un psychologue : comment comprendre ce paradoxe vivant, cette contradiction interne entre l'idéal du moi et la réalité, car enfin ce roi n'est pas fou, ni délirant, bien que mégalomaniaque. Il a cru faire plier la réalité, mais celle-ci le rattrappe, le confond, l'humilie, et dans l'humiliation même il trouve encore le ressort de s'élever et de polir son image !

Mais il est vrai aussi que ni le peuple ni la noblesse ne le suivent plus, et quand il mourra, tous les yeux se détournent déjà vers le régent. Sa dépouille sera emportée discrètement, presque honteusement, vers sa dernière demeure. Il a régné trop longtemps, trop seul, et son bilan est très controversé. Pour l'heure on veut l'oublier au plus vite : nul ne le regrette vraiment, nul ne le pleure.

De celui qui s'identifie à l'Etat, se donnant en spectacle permanent, prétendant incarner la majesté royale juqu'au moindre de ses actes, on se demandera s'il a vécu pour glorifier le royaume ou pour se glorifier soi-même en usant de tous les pouvoirs et de toutes les prérogatives de sa charge à son profit exclusif. Là encore on trouve un singulier paradoxe : Louis salue et écoute la dernière de ses chambrières, se montre toujours d'une exquise politesse envers chacun et chacune, et par ailleurs se tient informé, par une sorte de police politique, de tout ce qui se dit, se complote et se trame dans les couloirs et les antichambres du palais, déplace, nomme, contrenomme qui il veut et quand il veut, tenant tout le monde sous sa coupe, versant pension à ses fidèles, éloigant ou embastillant à son gré. De même pour Versailles, lieu de haute culture, de magnificence sans égal - et de débauche publique, de complots sanglants, d'alcoolisme frénétique, de jeux ruineux, d'homosexualité notoire (le "vice italien", merci pour les Italiens !), de poisons mêmes (Madame de Montespan y est elle-même compromise !) triste tableau de moeurs qui fera le désespoir (officiel) de Madame de Maintenon. Le roi, lui-même fautif, coureur impénitent, doublement adultère, ne fera pas grand chose pour restaurer la morale : quelques mesurettes de façade suffiront. On voit qu'il est impossible de ramener la psychologie de ce roi si particulier à aucune de nos catégories. Toujours il s'échappe par quelque côté, démentant par un nouveau trait ce qu'on avait pu établir, ruinant infatigablement nos efforts de classi fication. Personnalité éminemment complexe, attachante et irritante, hors norme. Par un côté il prète à la détestation, par un autre à l'admiration. Mais sans doute fort peu à l'amour. Pour aimer il faut sentir une proximité. Ici il n'y en a aucune. Pourtant, dira-t-on, il eut de nombreuses conquêtes. Certes, mais il était le roi, et dès lors comment démêler l'amour de l'intérêt, de la vanité d'être choisie, de l'ambition et de la montre ? Je n'éprouve aucune sympathie pour Madame de Maintenon, je ne puis supporter sa bigoterie que je soupçonne d'être hypocrite, toute pétrie d'ambition et de calculs, mais je reconnais qu'elle seule assista le vieux roi dans son crépuscule, et que sans doute elle l'aimait. 

Il ne me reste qu'une issue : je considérerai que nous avons affaire, avec Louis XIV, à une de ces puissances de la nature comme il y en a parfois, qui défie le jugement, qui ne correspond à aucune norme, qui invente sa propre loi et sa propre foi, par de là le bien et le mal, indifférente au sort commun, au bien des peuples, à la moralité et à la vérité. Aussi est-il bien délicat d'en juger, même en historien ou en psychologue. Peut -être seul l'art est-il en capacité d'en donner une image qui ne soit pas une caricature.

 

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Commentaires
O
concernant la morale, il est facile d'en juger: et sur ce plan de la condamner, comme on doit le faire pour toutes les tyrannies. Sur le plan politique, c'est différent; pour se maintenir au pouvoir, il vaut mieux être machiavélique, comme on dit.
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