La CHANSON du LAMPADAIRE AMOUREUX
Mon coeur me poingt de grande peine
Et mon amour s'en est allé
Je pense à toi reine des reines
Le vent gémit dans les allées
D'une languissante rengaine
Et si l'automne s'exténue
L'hiver s'avance en cache-nez
Hélas tu n'es pas revenue
Mon coeur s'emballe à cloche pieds
Ton âme flotte dans les nues
Sous le halo d'un lampadaire
Je grille mon dernier pétard
Comme à Nerval mon coeur me serre
Hélas pour vivre il est trop tard
Je vais me pendre der de der
Un clochard passe et me fend l'âme
"T'as pas deux balles pour moi, chef?"
J'en oublie mon épithalame
Et de me pendre derechef
Adieu Cypris, que Dieu te damne!
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J'aime, dans Apollinaire, le mélange exquis de gravité, d'émotion suggérée, éludée, et d'humour tendre, léger comme une bouffée de pipe. Et dans le style la feinte allégeance aux rythmes classiques, avec de fausses rimes bouffonnes, de subtils décrochages qui font danser la langue. Jamais lourd, fuyant le pathos bruyant, mais allégre, primesautier, folâtre, des airs de gamin-poète, et des tristesses d'enfant abandonné.
Que cette amusette, plus grave qu'il y paraît, lui soit, en affection et reconnaissance, dédiée.