AUTOPORTRAIT : poésie incongrue
PRELUDE
Il fut le premier, le dieu
A me déchirer les entrailles, quand vint
L'heure de la parturition.
Et depuis lors, de jour en jour,
Se creuse la fêlure
Que rien ne cicatrise, et que nul
Savoir ne peut résoudre.
ESQUISSES d'AUTOPORTRAIT
1
Rapidité
Tout est dans la rapidité
Quelques coups de crayon
Et voici un arbre doré de fin d’été
Un écureuil
Un merle et sa merlesse
Rouges fleurs et buis d’ivoire
L’éclat du jet d’eau coupant le ciel
Des filles qui rient dans la lumière
Je me lave
Je me lave les yeux du coeur
Au ruisseau bleu du petit jour
2
En cet instant précis
Je me vois très exactement
Tel que je suis
Tout nu
Tout cru
Sans fard, sans maquillage
Sans miroir grossissant
Sans image ni de moi, ni d’un autre
Sans nul qui regarde ou admire ou désire
Sans regard, ou désir, sans personne
Sans passé ni futur,
Il ne reste exactement
- Plus rien.
Rien que ces vers
Par quoi je repousse l’horreur
D’un vide total, intégral, sidéral
Plus effroyable que la mort !
3
Elle insiste, elle est chère
Cette voix qui m’intime
De chanter l’éphémère
De chanter la splendeur
La lumière égéenne
L’ivresse et la couleur.
Blanche la voile glisse
La mer céruléenne
Est l’épouse d’Ulysse.
4
Poète, où donc est ta mémoire ?
Sur les charniers poussent des fleurs
Et notre souvenir, et les pleurs de notre âme
Arrosent doucement la terre,
Et tout passe, et tout passe, et même la souffrance,
Mais il faut beaucoup de temps,
Et jusque dans les fleurs
S'exsude la moiteur
L’âcre arôme de la peur.
5
J’ai un trou dans la poitrine.
Quand je me regarde dans le miroir je ne me reconnais pas. Ce que je vois ce n’est pas moi. Je vois une vieille chose toute étonnée, comme déchirée entre ce qui est et ce qui n’est pas.
Deux moments vides, qui ne se rejoignent pas.
Les choses ne sont pas à leur place. Les mots ne disent rien. Tout passé dégorgé, sans avenir, le temps n’est plus le temps.
6
Tout coule et glisse, et je suis là
Je coule et je suis là
Je n’y suis pas
Je ne suis nulle part
Pourtant je vis bien quelque part
Dans un lieu qui n’existe pas
Qui jamais n’exista.
7
Jusqu’à l’extrême du plaisir
J’ai la pensée lucide et froide
Acérée comme un couteau de chasse
De l’inutilité
De la précarité
De la vanité, de la futilité
De l’insondable inanité
De l’incongruité de toute chose au monde
Comme un rire qui me déchire
Et me cadavérise.
8
Une sourde mélancolie
Envers nocturne, trou noir, abîme de la vie
Je suis habité de la tragique évidence
Que le bonheur est un rêve d’eunuque
Le savoir une chimère
L’amour un dé pipé
La beauté, grain de peau, un appeau ;
Mais le plus étrange
C’est qu’avec tout cela il est possible de vivre
Et ni mieux ni plus mal
Comme vivent les sansonnets
Avec un petit quelque chose en plus
Sel de mer, sel de larmes
Comme un poinçon d’acidité.
9
Détrempée, vert-anglais
Fouaillée de soleil
Oasis de lumière liquide
La prairie s’ouvre comme une amante.
Un peuple de moineaux
Bivouaque et chante.
Hélas, aimer la vie facile
Les gens légers, la musique, le vent dans les cheveux
Qu’est-ce donc qui m’arrache à la vie
Me tire obscurément dans l’entre-deux
D’un temps qui monte et qui descend
Et se déchire et se reprend ?
10
Ce que nous sommes un dieu le sait peut-être
Mais nous, de notre peu de savoir
Nous faisons des palais de cristal, quand l’orage
Arrache la toiture et les murs, et nous jette
Au tourbillon poussiéreux des hasards.
11
J’ai oublié ma langue maternelle
Je suis né d’aujourd’hui
Chaque matin je me réveille neuf, et vierge, et disponible, et désireux
J’ouvre la porte au petit jour
Je ne me souviens de rien
Les mots me prennent par la main
Je danse d’allégresse
Je me ris du destin
12
Je vois le monde dans la fumée de ma pipe
Cela fait de belles volutes bleues et mordorées
Il me semble que mon âme se colore de rose
Les arbres de bleu clair
Cela donne un petit air de Méditerranée
Allègre, vif, matutinal
J’hallucine les blanches voiles sur la mer;
Je suis au pays des dieux !
13
Je voudrais inventer des mots nouveaux
Légers, comme des pas de danse
Des mots, comme des roses
A déposer sur le front de l’aimée
Doux comme des baisers
Des mots qui disent l’aventure
Des mots comme des gouttes lisses
Comme la gaze douce
Comme l’embrun, la bruine et le parfum,
O doux arôme, o l’insensible
Ecoulement du temps, comme un nuage délicat
Qui lentement dans le ciel s’évapore !
14
Le poème c’est du rythme
Rien que du rythme
Et ça danse, et ça tangue et ça claque
Sur un pied, sur trois pieds, mille pieds !
L’air est vif, le soleil batifole entre les arbres
J’ai l’esprit clair, le corps sensitif
Je feuillette quelques amis poètes
Je grappille comme un merle
Je ne réfléchis pas
Je laisse venir à moi les mots et les images,
Je fais un bouquet de tendres pensées,
Et le coeur apaisé
Je l’offre à toutes les déités
De la mer, de l’air et de la terre !