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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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19 septembre 2011

Du DEUIL et de la GRATITUDE : EPICURE

"Il faut guérir les malheurs par le souvenir reconnaissant de ce que l'on a perdu, et par le savoir qu'il n'est pas possible de rendre non accompli ce qui est arrivé" : Epicure : Sentence Vatican 55.

Cette sentence exprime en premier lieu le remède universel au deuil : non pas gémir de la perte, non pas s'appliquer à un impossible oubli, mais par un retournement éthique remarquable, soigner (therapeuein) l'âme par le souvenir même des biens passés. Ce qui s'appelle reconnaissance, nouvelle connaissance de la beauté et la qualité des biens jadis possédés, et gratitude d'avoir eu cette chance, jadis, de les posséder. Et de la sorte de continuer à se réjouir, en considérant ce "kaïros" dont le souvenir heureux contribue puissamment au bonheur présent.

Le mélancolique cultive le souvenir malheureux de la perte, se roulant sans fin dans les abîmes :"Je suis le ténébreux, le veuf, l'inconsolé" (Nerval). L'épicurien, tout en reconnaissant la perte, se fortifie du souvenir heureux, cultivant la gratitude  : kairos et charis. Le temps ne détruit pas le plaisir si nous savons conserver en nous l'image de chaleur et de beauté de ce qui nous a réjoui. Toute la question est de savoir si nous mettons l'accent sur la perte (rumination du deuil : j'ai perdu mon amour)  ou sur la bonne chance ( j'ai eu tant de plaisir, j'en ai et j'en aurai toujours au souvenir des jours heureux, et rien ne peut m'arracher ce bonheur). C'est ainsi que le vieillard reste "jeune en biens par la gratitude de ce qui a été" (Lettre à Ménécée).

La seconde partie de la maxime exprime avec netteté la nature de l'impossible: il est impossible de faire que ce qui a eu lieu n'ait pas eu lieu. C'est l'irréversible du réel. La juste attitude, selon Epicure, est de faire de cet impossible un savoir (ginôskein), ruinant à la racine tout espoir de  retour en arrière, de récupération de l'objet perdu, tout en conservant, non l'objet, mais le souvenir de l'objet dans la mémoire. Il faut fermement tenir, dans une main le savoir de l'irréversible, et de l'autre la gratitude du bonheur conservé.

Il y a là un subtil déplacement psychique et éthique : l'objet est perdu, le temps n'épargne rien ni personne. Dont acte. Mais nous pouvons déterminer librement (en principe) le statut psychique du souvenir: accablement ou gratitude. Il est plus beau de choisir la gratitude, et plus sain. Ne soyons pas ingrats à l'égard de la nature, ni à l'égard de ceux que nous avons aimés, et que nous aimons toujours. C'est ainsi qu'Epicure, qui perdit Métrodore, son ami le plus cher, ne cesse de le recommander au souvenir de ses disciples, et de prendre prendre soin de ses enfants après sa propre mort (Testament d'Epicure, dans Diogène Larerce, 17).

Le temps emporte tout, mais c'est sagesse humaine de résister au temps, non par le déni de l'impossible, mais par le juste souvenir du plaisir, qui est plaisir encore, et par la juste fidélité aux amis, garants de biens immortels.
 

 

 

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