Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
Archives
Visiteurs
Depuis la création 1 056 539
29 novembre 2010

De la PERSONNALITE : éthique affirmative

Cette notion est difficile, et je crains fort que les éléments indiqués dans le précédent article ne soient fort insuffisants. Commençons par déblayer le terrain.

Personnalité vient de "persona", terme latin qui désigne le masque de l'acteur ("son à travers") , donc l'acteur lui-même en tant que support physique, strictement indéterminé, "impersonnel", d'un personnage traditionnel, parfaitement identifié et connu du public. Le théâtre antique mouline interminablement (après la période héroïque des Eschyle, Sophocle et Euripide) les actions et les malheurs des héros illustres de la mythologie. L'identité, signifiée dans le héros, est complètement culturelle, traditionnelle, stéréotypique. En un certain sens - métaphorique - le personnage, sous le masque d'acteur, est lui-même un masque, disssimulant une insaissssable et problématique singularité, sauf à décréter que les personnages n'ont en fait ni originlité ni singularité. Oreste est toujours Oreste, il était et il sera toujours Oreste, voué à rejouer éternellement le drame de l'amour d'Electre et le matricide de Clytemnestre. On peut estimer que dans l'ensemble, mises à part quelques personnalités de premier plan, l'Antiquité ne connaît pas et ne développe pas la singularité, ni la psychologie comme exploration du Moi. L'homme antique est avant tout un citoyen, ou un esclave, figé dans ses déterminations socio-politiques. La chose est évidente dans le théâtre, la poésie, la philosophie même dans sa valorisation du Logos commun (koinon), et le rejet quasi unanime de l'"idiotès", l'idio-syncrasie individuelle (voire Héraclite).

Persona, masque, acteur, hypocritès, personnage, cela fait série. Série des postures commandées, conventionnelles, comportements prévisibles, attitudes, relations de relations, images mentales stérotypées, symboles enfin d'un génie collectif qui a su répartir les statuts et les rôles selon une économie relativement harmonique et stable. Tragédie de l'existence, comique des situations particulières, tragi-comédie de la vie sociale. En quoi il est juste que Balzac écrive une "Comédie Humaine", et que Simenon décrive son siècle avec la justesse que l'on sait. Le roman, comme genre littérarire a de longtemps relégué la tragédie comme tableau de la condition humaine. Mais nous voilà toujours encore dans la littérature et le spectacle : le personnage n'est que l'ombre externe de la personnalité, son reflet appriximatif, et parfois sa contrefaçon.

Jung distinguera nettement la Persona et l'Ombre. Persona = personnage social. C'est ce que nous faisons voir, identité socio-culturelle à laquelle, par facilité, crainte, ambition ou rejet nous avons tendance à nous identifier. Remarquons fortement que l'identité est sociale, et ne peut se penser que dans un rapport statutaire ou signifiant, jamais en soi et pour soi. Un boulanger n'est pas un éboueur. Le drame commence lorsqu'on se prend pour...un génie, un chef d'entreprise, un maire etc. Montaigne rappelait que le Maire de Bordeaux et Michel de Montaigne ont toujours fait deux. Cette Persona projette une Ombre, mais en général nous ne voulons rien en savoir. L'Ombre est la porte de l'inconscient. Souvent close, parfois entrouverte, jamais béante, sauf peut-être chez le psychotique. L'Ombre nous offre un accès à nos vrais désirs, rejetés, refoulés ou clivés. Cette découverte est vécue en général comme un scandale, dans tous les sens du mot. Un admirable illustration de cette contradiction vivante est donnée dans le roman de Herman Hesse : "Demian".

L'Ombre doit être abordée, re-connue . Puis commence le travail d'immersion dans les abysses. "La vérité est dans l'abîme" (Démocrite). Histoire individuelle et familiale, repérage des traumas, des grandes figures, inconscientes, des imagos primitives, des formes archétypales : l'inconscient est l'océan de notre "temps, passé, présent et à venir, temps de la femme, temps de l'homme, temps immense", à la fois absolument singulier et inscrit dans la totalité cosmique. Ici Jung est bien plus affirmatif et englobant que Freud! Ce voyage initiatique nous mène au Royaumes des Mères, dont parlait Goethe,  pour y conquérir notre enracinement dans le Tout,  - je dirai la conscience cosmique - et la co-naissance de notre absolue singularité. "Je" suis unique à être moi, et ce moi serait-il le plus faible de la nature, le plus pauvre et le plus démuni, il est ma nature, et de cette nature je peux tirer de quoi sustenter mon existence. Commence la remontée du sujet vers le monde social, qu'il n'a quitté qu'en songe, dans cet étrange voyage abysssal, mais qui l'a soutenu en dépit de luin et le soutiendra à présent dans son retour.

J'appelle singularité cette réalité incontestable de l'unicité inaliénable, indestructible du sujet : me coupera-t-on en morceaux que je serai toujours moi. Anaxarque, écrasé dans la meule du tyran  se coupe la langue avec ses dents, la crache au visage de son tourmenteur : "Tu peux bien martyriser le corps d'Anaxarque, tu n'auras jamais Anaxarque!". Je me décrète singulier, non à partir de quelque délire religieux ou mystique, de quelque consécration sociale ou politique, mais de ce que "je" suis une partie de la nature, inconstestablement, comme un arbre, mais avec la conscience de soi, et d'une certaine manière, je participe de l'éternité de la nature. Cette idée peut paraître un peu "métaphysique" mais je soutiens, contre les préjugés courants, qu'elle prend chair et forme dans cette plongée psychique, qu'elle en engage plus que la raison, le sentiment, et toutes les représentations mentales : voyage de l'"âme" - corps mental si vous  voulez - dont la mythologie antique traçait déjà les routes obscures et lumineuses.

La singularité est le fondement vrai  de la personnalité. Sans quoi nous sommes dans l'imposture, la contrefaçon, le Faux Self, l'imitation et l'aliénation.  Chacun le sent, mais ne veut le savoir. Ni l'assumer. C'est la Bonne Nouvelle.

Il y a là un passage difficile. Découvrir et assumer sa propre singularité c'est déjà beaucoup. En faire la loi éthique de son être au monde c'est encore un pas de plus. Je témoigne ici, mais cela ne vaut que pour moi,  qu'il y faut un certain temps, une autre et nouvelle compréhension, une surcroît de lucidité - il est si facile de chercher secours autour de soi, et si décevant  -  un nouveau courage -mais surtout une nouvelle et claire intellection de la Loi : "Deviens celui que tu décides de devenir, selon ton désir et ton amour le plus intime, en accord, autant qu'il se peut, avec ta propre nature".

On me répondra, et j'en suis d'accord à l'avance, qu'il est bien peu aisé de définir cette "nature propre" dans un mponde qui nous tiraille en tous sens. Raison de plus, dirai-je! Et pour finir j'invoque mes illustres et très aimés prédécesseurs, à qui je dois tant, qui m'ont enseigné que c'est possible et jamais définitivement atteint. Et en fonction de quoi, ce désir? C'est très simplement un désir de connaissance qui l' a toujours emporté sur tous les autres, aussi attractifs qu'ils pussent être. J'ai dit un jour, pour moi même, comme l'a fait Schopenhauer avant moi : " Je vois que la vie est chose bien difficile et j'ai décidé de consacrer la mienne à tenter de la comprendre".

C'est ce que communément on appelle du beau verbe de "philosopher".

Publicité
Publicité
Commentaires
G
merci pour ce magnifique commentaire et les superbes citations de H H, un auteur trop oublié de nos jours. Quant à comprendre autrui, j'en doute, et à expliquer, ou s'expliquer à soi-même, j'en doute encore davantage! Mais Jung en particulier permet d'élargir considérablement le champ du compréhensible par la compréhension (relative et imparfaite) de notre propre inconscient, grâce à quoi ou peut avoir un peu de compréhension de l'autre. Mais rien ne s'explique jamais, ni en dedans ni en dehors.
Répondre
B
Merci Guy pour cette riche réflexion sur la personnalité. En ce qui concerne la persona, on pourrait aussi l’imaginer comme une seconde peau, membrane artificielle réactive, tissée par nos échanges, frottements, rencontres avec notre société. Artificielle mais nécessaire car protégeant notre intimité et notre singularité. « La persona pour Jung est le « système d’adaptation ou la manière à travers lesquels on communique avec le monde ». Le danger comme tu le soulignes étant de s’identifier à ce personnage social. Difficile posture qui conduit certains à se confondre avec ce personnage et d’autres au contraire à exposer périlleusement leur intimité .Sans doute, faut-il trouver ce juste milieu où « jouer avec ce masque comme sur une scène », sachant que la persona est comme le définit Jung « ce que quelqu’un n’est pas en réalité, mais ce que lui-même et les autres pensent qu’il est ».J’ai beaucoup aimé cet ouvrage de H.Hesse : « Demian » et certains extraits en résonance avec ton texte. « A nous tous, les origines, les mères sont communes. Tous, nous sortons du même sein, mais chacun de nous tend à émerger des ténèbres et aspire au but qui lui est propre. Nous pouvons nous comprendre les uns les autres, mais personne n’est expliqué que par soi -même. »<br /> Et encore : « chaque homme n’est pas lui-même seulement. Il est aussi le point unique, particulier, toujours important, en lequel la vie de l’univers se condense d’une façon spéciale, qui ne se répète jamais. »
Répondre
Newsletter
153 abonnés
Publicité
Derniers commentaires
Publicité