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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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5 juin 2009

HOMO NATURA

Je me flatte de ne porter aucune inscription, aucune scarification, nulle peinture ou dessin sur mon corps. J'ai la chance d'être aujourd'hui comme la nature a bien voulu me jeter dans l'existence, sans ajout extérieur, ni soustraction, nu et vierge comme au premier jour. Je me contente tout à fait des tenues vestimentaires traditionnelles, cravatte en moins, sans estimer nécessaire de me signaler par quelque symbole religieux, croix, croissant, nattes, point rouge sur le front ou tchador! A vrai dire je ne comprends pas bien cette furie de l'exhibition : pourquoi diantre faudrait-il signifier à mon voisin que je suis shivaïte, musulman, orthodoxe, juif ou bouddhiste? Ai-je donc si peu confiance en mes propres certitudes pour rechercher chez l'autre une marque d'approbation ou de rejet?

Il y a pire. De quel droit procède-t-on, en quelques sociétés proches ou lointaines, à ces rites sacrificiels et barbares de mutilation, d'excision clitoridienne, de circoncision et autres, sans se soucier un instant de l'intégrité corporelle des petits enfants, de la dimension traumatique de ces pratiques, de leur retentissement? On rétorquera que c'est là un acte symbolique, précieux entre tous, qui signale l'entrée dans la communauté. Etrange raisonnement, car au moment même on l'on pratique ces rites d'acculturation on s'empare de la liberté souveraine de la personne du nouveau-né, on l'encage sans discussion possible dans un ordre contraint et forcé, on lui impose une aliénation mentale, on dispose frauduleusement de son corps et de son esprit, sans réserve, sans consultation, et sans résistance possibles : "Te voilà des nôtres mon fils, réjouis-toi d'appartenir dorénavant à la plus haute et la plus parfaite culture" . Qui ne voit que par là on sépare plus qu'on ne relie? Qui est déclaré musulman par autorité parentale et sociale ne sera jamais, sauf improbable exception, tenté de rejoindre quelqu' autre communauté. C'est le paradoxe tragique de l'identité : on ne devient x qu'en rejetant y. C'est là l'origine des haines, des guerres et et de toutes les discriminations. Hélas l'homme est un animal de horde, qui ne se soutient dans son identité que de refuser obstinément toute accointance avec l'Autre. Ou la Haine ou la Trahison. J'aime mieux la trahison. Toute authentique culture est par essence universelle, non régionaliste ou séparatiste. Donner une chance à l'homme c'est refuser les clivages imposés par une religion de horde.

Le tableau ordinaire des actualités c'est le spectacle macabre des déchirements interethniques, des podroms, des massacres, des camps, des conflits sanglants, des petits intérêts locaux et nationalistes, et tout cela pendant que la planète brûle. Partout on l'on prie on s'apprête à égorger le voisin. Dieu contre dieu, religion contre religion, secte contre secte, nation contre nation, partout c'est la triste convention identitaire qui mêne la barque de la barbarie. Les seuls hommes qui comptent dans l'histoire sont ceux qui ont su s'élever au dessus des religions et des morales closes(Bergson) pour enseigner l'Universel. Voyez Bouddha, voyez Pyrrhon, ils ne parlent pas à telle communauté, tel représentant de communauté, telle classe sociale, telle caste. Ils parlent pour tous, ils parlent à tous, sans distinction de sexe, de rang, de culture, d'opinion ou de rite. Dans les ténèbres de la pensée partisane et sectaire ils font briller la haute lumière de la raison et de l'intelligence.

Une philosophie qui ne se range pas à cette aune-là n'est que propagande et idéologie.

Rousseau cherchait obstinément l'homme naturel, tantôt dans les tribus sauvages, dans un passé révolu, tantôt dans l'homme non corrompu par la civilisation, et plus sûrement peut-être en lui-même. La chose est complexe. Mais nous savons aujourd'hui que les dites tribus sauvages sont tout sauf "naturelles". N'est-ce pas dans ces sociétés-là que les hommes sont le plus conditionnés par le groupe, le plus dépendants, le plus marqués par les rites et les mythes, les sacrifices et les contraintes, jusque dans leurs corps scarifiés, mutilés, peints et repeints, sculptés par le couteau et la piqûre? Paradoxalement c'est chez nous que l'individu a encore le plus de chance de se tenir à quelque distance, de se séparer au moins symboliquement et de cultiver son jardin. L'Homo Natura se trouvera plus facilement chez nous que chez les Hottentots ou les Dakotas. "L'homme sera plus libre dans nos cités que dans les forêts profondes" écrit à peu près Spinoza. Même Rousseau renoncera peu ou prou au mythe du bon sauvage pour réfléchir aux conditions d'une existence plus libre dans le socius, malgré ses vociférations quelque peu absconses contre la culture.

Comment réaliser l'HOMO NATURA dans la cuture même? Freud nous a largement montré combien la culture exige de sacrifices pulsionnels et de renoncements. Mais lui aussi estime qu'il n' y eut jamais d'état de nature, que l'état de société est nécessaire et naturel à l'homme et qu'en fin de compte seul l'état social permet un peu de sécurité et de liberté. Dont acte. Il faut en passer par les tribulations de l'identité pour accéder à la singularité.

Il en va ici comme de l'artiste. Apprendre d'abord pour se révéler ensuite dans sa pleine souveraineté créatrice. Et par là même accéder à l'universel, comme ont fait les plus grands.

Pour moi la cause est entendue. La plus haute philosophie me met en route vers cette conquête pacifique et sereine de mon intégrité non morcelée. Encore faut-il en finir avec tous ces attachements burlesques, limitatifs et violents. L'identité est violence, et contre les autres et contre soi. Si je me définis de quelque manière je me fais violence en me contraigant à un moule et en y contraignant les autres. Il en résulte ce paradoxe que pour atteindre à la vérité de soi dans la singularité il faut extraire et dépasser toute identité. Lao-Tseu disait que le sage diminue tous les jours, là où le sot ne vise qu'à grandir, croître et pulluler (comme font nos nations : croissez et mutlipliez, quelle abjection!). Plus près de nous je sais un Périgourdin qui ne se flattait guère d'être Périgourdin, Basque ou Chrétien : on naît chrétien dans la mesure où les parents l'étaient, pur hasard de lieu et de feu. Le tout c'est de devenir HUMAIN, programme plus  vaste et plus difficile, et plus noble.

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