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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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4 juin 2009

RETROUVER LE CORPS

Il reste à conquérir une pleine autonomie corporelle. C'est comme si la voix du corps avait été forclose de longues années, au profit de je ne sais quelle aphasie psychosomatique. On sait que cette dernière structure : silence de la pensée, étouffement de l'émotion et du désir, indifférence pulsionnelle et ralentissement affectif sont une sorte de mort, à laquelle seul le symptôme physique offre une fallacieuse mais nécessaire issue. L'hypocondriaque, le mutique et le psychosomatique sont en réel danger. Ils se bloquent dans le raidissement défensif et l'abstention généralisée, mimant le cadavre exquis du survivant pour ne rien sentir, ne rien penser, ne rien exprimer, mais leur corps aux abois tient un discours de douleur ou d'anesthésie, en lequel on pourrait lire le plus profond désespoir. Mais tout est gelé, et pour longtemps. Une nouvelle fracture peut à jamais briser l'édifice. A moins que, tout au contraire, une bouffée de fraîcheur ne vienne raviver et réveiller le Prince endormi. Alors tout se passe comme dans le conte : les mouches gelées dans le sommeil ouvrent à nouveau leurs ailes, l'âne se remet à braire et à secouer ses grandes oreilles, les oiseaux se remettent à chanter, et le prince peut enfin embrasser la Belle qui lève vers vers lui ses beaux yeux ensommeillés.

Il faut refuser les doctrines qui prétendent brider le corps au nom d'une prétendue vertu morale ou d'une idéologie de la purification. A lire certains discours  de sagesse il faudrait blâmer les pulsions corporelles, les motions instinctives, les élans et les élancements, contrecarrer le cours dynamique de la nature pour gagner je ne sais quelle perfection de l'âme, censée nous mettre en relation avec l'Absolu. Platonisme, Christianisme, et bien d'autres formes dévotionnelles nous pressent de dompter et de rabrouer notre malheureuse carcasse supposée diabolique et assoiffée de démesure. Certes il faut de la tempérance, voire une certaine forme de chasteté philosophique, mais non point par idéal, par hypertension volontariste ou par ascétisme, mais par simple mesure. A y réfléchir sérieusement ce n'est pas le corps qui est en cause : il se satisfait rapidement de nourriture, et même de plaisir ou de volupté. La borne est aisément atteinte, et au delà commence la goinfrerie ou la débauche, qui ne procurent guère de plaisir. La mesure du plaisir est fixée par la nature elle-même, et nul corps, de par soi, n'excède les possibililités de nature. Si bien que l'excès, la démesure, l'hubris en général viennent toujours de l'esprit malade. C'est l'ambitieux, c'est le débauché, c'est le passionné, le fou furieux qui prétend amplifier, illimiter les puissances du corps pour les entraîner indûment à sa folie. En soi le corps est sage. C'est l'esprit qui est susceptible de dangereux écarts.

J'ai passé mon enfance dans la crainte de dieu et du mal. Mon adolescence a été une épouvantable lutte interne entre le désir naissant et la culpabilité. Comme j'avais de puissantes pulsions, et dans tous les domaines, curiosité, voir et savoir, sexe, jeux divers et variés, ambition et inquiétude, je vivais un enfer, au regard des hautes aspirations morales que l'on m'avait inculquées et que j'avais fidèlement intériorisées. Christ en croix c'était moi. Et une sourde révolte me rongeait sans que je pusse l'exprimer. Pourquoi ce dieu pervers nous avait-il outillé de cette sorte, avec tant de forces pulsionnelles et intellectuelles, si c'était pour nous interdire leur usage? Le corps est sexué, et ce sexe me travaille, très naturellement, très légitimement, et je dois ne rien entendre, surtout ne pas écouter les tentations, ni les mirages du plaisir, je dois rester sourd et aveugle, sans désir, sans émotion, sans envie, sans espoir, et croupir lamentablement dans la chasteté forcée et l'ennui? Il y avait là une contradiction logique, un scandale intellectuel et moral qui me plongeaient dans un sorte d'hébétude entrecoupée de rages et de révoltes.

Terrible malentendu. Quelqu'un aurait dû me dire que le corps n' est pas en cause, que le corps a sa logique propre et que cette logique n' a rien d'immoral ou de pervers, que l'attitude juste n'était sûrement pas la condamnation du corps, mais son usage selon l'intelligence. Au lieu de quoi on m'a laissé dans une culpabilité immonde et sans recours. Et la culpabilié, c'est la haine retournée contre soi, prélude abject à la névrose, voire à la mélancolie.

C'est décidé  : je veux retrouver mon corps, dans toutes ses dimensions : sensations à cultiver, à faire fleurir, à bichonner ; mouvements, postures, grâce et force mêlées ; volupté impénitente, contentement et exultation de la chair, appétit et apaisement, rythme grave tantôt et léger plus souvent encore ; souplesse et fermeté, aisance et délassement ; effort et réconfort ; danse, ivresse et sobriété plastique, beauté appolinienne. Finies les contritions, les retenues, les tergiversations. Que le corps-esprit, dans son harmonique fondamentale, épouse les mouvements de nature, sans crainte ni déclamation : esprit juste dans un corps juste.

Le plaisir constitutif c'est exactement cela : non pas une course éperdue contre la montre, un épuisement hybrique, un divertissement sans joie, un stakhanovisme de la jouissance, mais la libre expression de ses forces constitutives dans l'heureuse harmonie retrouvée.

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