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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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3 juin 2009

D' UNE MORT PLUS LEGERE

Comment vivre sereinement en se sachant mortel? J'estime qu'il faudrait parvenir à une sorte d'oubli de la question, dans la naïve et quotidienne jouissance du vivre. Après tout un problème n'est vraiment résolu que lorsqu'il a entièrement disparu de notre esprit. Comment parvenir à cette saine négligence vitale, à cette distanciation paisible, à ce nonchaloir? Non pas déni psychotique ("je suis immortel comme les dieux)" ni refus de penser, mais dépassement de la question : trouver, ici comme ailleurs, le juste positionnement dans le continuum psychique : je dois mourir, soit, et après?

J'ai vécu constamment dans la pensée de la mort, tantôt effrayé, tantôt indifférent. Parfois même je l'ai appelée de mes voeux, sans pour autant la provoquer. Je m'interroge : quelle place donner à la perspective du suicide? Faut-il le refuser a priori come marque de faiblesse ou de lâcheté? Faut-il estimer, comme certains, que la vie ne nous appartient pas, mais à Dieu ou à quelque autorité supérieure, comme fait Socrate dans le "Criton"? Faut-il à l'inverse penser, comme les Stoïciens, qu'il n'est pas indigne de quitter la vie si les conditions minimales de la "bonne vie" sont introuvables? Je me suis toujours rangé à cette seconde position, sans faire pour autant l'apologie du suicide. Il faut vraiment des conditions exceptionnelles pour choisir cette extrémité. Mais j'estime qu'il est de la plus haute importance, pour notre liberté, de conserver par devers soi cette possibilité : vivre n'est ni un devoir, ni une nécessité. Et la vie personnelle nous appartient en propre, comme condition de l'existence. Vivre au service de l'existence.

Je n'aime point que l'on considère la longévité comme une fin en soi. Je me moque volontiers de certains vieillards qui se régalent du décès des voisins, au prétexte qu'ils n'ont su vivre plus avant. C'est là esprit médiocre de compétiteur, comme si l'on s'élançait dans une course à la durée. Certains grincheux notoires, certains méchants et patubulaires auraient dû, en bonne justice, quitter la scène depuis longtemps. Qui donc regrettera les dictateurs et tyrans, politiques ou domestiques, paranoïaques impénitents et sanguinaires, dont la mémoire nous effraie pour des siècles? La nature ignore la justice et c'est calamité de voir les mauvais prospérer sans vergogne quand les justes meurent trop tôt, emportés par l'infortune ou le crime. La longévité ne mesure rien, ne dicte rien, ne justifie rien.

Je me réserve, quant à moi, le droit de partir à ma guise. Non que je sois pressé. Si je l'ai été je ne le suis plus. Et j'apprécie bien plus la vie, ses commodités et ses joies que par le passé. Mais je ne suis pas naïf. Je sais que tout peut basculer à la seconde : ruine, maladie, décès des proches, accident vasculaire, crise  cardiaque, cancer, fuite du conjoint, dépression, guerre et cataclysme écologique. Rien n'est sûr, si ce n'est ce fameux continuum que chacun peut élaborer par soi, par quoi il peut gagner la "forteresse des sages", plus prosaïquemùent : le continuum psychique de sérénité. Tout le reste est aléatoire, prêté par la fortune, et toujours remboursable. Mais que vienne à chanceler ce précaire équilibre, que les conditions externes soient si déplorables que chaque instant vire à l'enfer, alors la question se pose : to be or not to be.

Je me représente souvent, pour ma gouverne, des situations épouvantables : me voici dans un camp de concentration, pressurisé, humilié, bafoué dans mon être, torturé, déshumanisé. Faut-il rester, et pourquoi? Témoigner de quoi? Mais si même cela devient impossible, et ce l'est souvent? Si je le peux, et je ferai tout pour le pouvoir, je m'occis, non par haine de moi, mais par noblesse. Ils n'auront qu'une dépouille qu'ils jetteront à la fosse. De fait je serais mort dès le premier instant d'enfermement, le reste n'a plus de conséquence. Il faut partir à temps.

Je regardais l'autre jour un reportage sur la Corée du Nord. Je me représente sans peine les affres que subissent les malheureux habitants de ce pays. Comme pour le Cambodge de Pol Pot, ou la Birmanie actuelle. Que signifie vivre dans un tel contexte? Faut-il attendre une improbable chute du régime, et continuer bravement à supporter l'insupportable? Le seul obstacle à la délivrance, et il est de taille, c'est le sort de mes proches : le régime se vengera sur eux, et de la pire des façons. Puis-je précipiter les miens dans cet enfer au carré? Peut-être y a-t-il des cas où le suicide collectif est la seule solution, comme dans certains épisodes célèbres de l'histoire. En tout cas, ne jugeons pas trop vite, et laissons la porte ouverte à la réflexion.

Epicure : "le sage, lui, ne craint pas la non-vie, car la vie ne l'accable pas, et il ne pense pas que la non-vie soit un mal". La non-vie n'est pas un mal, ni un objet de crainte. On peut choisir la non-vie. Mais Epicure dit aussi que la vie n'accable pas le sage, qu'elle ne lui est pas à charge, ce qui est vrai pour les conditions ordinaires. Mais pour les extra-ordinaires? L'epicurien n'estime pas que la vie soit un bien absolu, valable en soi et par soi, et qu'il faille la sauver dans n'importe quel cas et à n'importe quel prix. Le Souverain Bien c'est le bonheur dans l'autonomie, pas la durée illimitée. Et nul autre que l'individu lui-même ne peut juger de la valeur, de la préséance, de la hiérarchie des valeurs, et donc du choix éthique.

Je garde en réserve cette hypothèse : dans les conditions de "nature" rien ne contraint vraiment au suicide si ce n'est la maladie dégénérative. Dans les conditions du pire politique ou social c'est le sujet lui-même qui est souverain et seul responsable de ses décisions. Pour moi il n'est pas de liberté véritable si la vie est un bien absolu. Le Souverain Bien n'est pas la vie mais l'Eudaimonia.

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