NOTE SUR L'IVRESSE : Omar Khayam

           "Enivre-toi, Khayam, et tu seras heureux.

              Jouis d'une tulipe en fleur, et sois heureux.

               Puisque ce monde court au néant, imagine

               Que tu n'es plus, mais tant que tu es, sois heureux !"

Ce quatrain d'Omar Khayam, célèbre savant et poète perse du 11ème siècle, donne la tonalité dominante de ses Chants : le savoir est bonne chose, mais il ne sert de rien face à la puissance souveraine du temps. Même analyse pour tous ces "biens" que l'on recherche avidement, qui nous leurrent et nous laissent désemparés face au néant. Y compris les promesses de la foi.

              "Je sais ce qu'est l'être et le néant

              Mais plus haut que toute sagesse

              Je mets l'ivresse..."

Ivresse des sens, ivresse de la beauté, "temps du vin, de la rose et des amis charmants", des longs cheveux, de la harpe sonore. et cela dès le matin, chers amis :"Buvons ce vin de rose à l'heure où naît l'aurore...". Ce choix délibéré, méthodique, raisonné de l'ivresse n'a rien de vulgaire, de populacier ; c'est l'oeuvre d'une pensée parfaitement aboutie : quand il n'y a plus ni espoir, ni illusion, ni fuite possible dans l'imaginaire, il ne reste que le corps, mortel et sensitif, et cette capacité subtile de se détourner, de choisir, de se créer cet autre "monde", vivace, éphémère et sans cesse réinventé du plaisir et de la beauté.

              "Oui, plus j'approfondis ce monde, plus je vois

              Que seul jouir est bon, que le reste n'est rien".

Le paradoxe saisissant de cette pensée c'est qu'elle mêle étroitement l'extrème lucidité (il n'y a rien) à la décision d'ivresse. Mieux, c'est la lucidité impitoyable qui conduit à la décision d'ivresse. Il est clair en tout cas que l'ivresse ne supprimera pas la lucidité, on dirait tout à l'inverse qu'elle l'intensifie, la portant à la plus haute puissance, comme sur une crête escarpée où se séparent le royaume de l'être et celui du néant. Sur ces cimes altières règne le sage, de là haut il contemple la tourbe anonyme des affairés, des insensés, des menteurs et bonimenteurs, tous aveuglés par la passion d'avoir, de savoir et de pouvoir.

Comments

[Pyrrhon]

Ajoutez Li Tai Po et vous avez une triade haute en couleurs, totalement géniale !

[delorée]

Impeccable...



Omar Khayyam et Tchouang-tseu sont mes anciens terriens préférés.

[X]

" Sur ces cimes altières règne le sage, de là haut il contemple la tourbe anonyme des affairés, des insensés, des menteurs et bonimenteurs, tous aveuglés par la passion d'avoir, de savoir et de pouvoir. "



Joli !