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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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3 janvier 2022

QUI ECRIT ?

 

Pour que je puisse commencer à écrire, il faut qu'une phrase se mette à chanter dans ma tête. Il suffit de quelques mots qui entrent en collision, qui se conbinent de manière imprévue, qui, comme les atomes d'Epicure se heurtent, s'accrochent ou se répondent, entrent en résonance, esquissant les prémices d'une mélodie : le ton est donné, le thème se laisse entrevoir, la forme se profile. C'est l'écriture qui fera apparaître l'idée, et non l'inverse. C'est un jeu de découverte et de risque, non l'exposition doctrinale d'un contenu préalablement défini et fixé. A vrai dire je ne sais jamais où je vais, je n'ai pas de plan, pas d'intention arrêtée, j'ignore totalement quelle sera la conclusion. Ni titre ni thèse, mais un vagabondage, un jardinage intempestif, une dérive. Quelque chose comme un rêve éveillé dont on voit bien comment il commence, mais dont nul ne saurait prévoir l'aboutissement. Ou comme un rêve nocturne qui se fait de lui-même sans que le sujet n'en puisse maîtriser le cours. Cela se fait, l'auteur n'y est auteur qu'à titre grammatical, davantage spectateur qu'auteur. Reste que dans la plupart des cas ce qui s'écrit ainsi je le reconnais comme mien, plus et davantage que ma parole ordinaire et sociale, qui se prête inévitablement à la convention, et qui ne dit à peu près rien de ce que je suis vraiment.

Le plus vrai, singulièrement, m'est donné à moi-même dans le texte écrit, qui pourtant semble procéder d'une source inapparente, obscure à moi-même, comme si alors quelque voix plus vraie que la mienne prenait la parole et disait ce que je ne sais pas encore, et qu'après coup je reconnais comme éminemment mien. C'est une singulière façon d'être fidèle à l'enseignement de Delphes, et pour un peu je soupçonnerais quelque Pythie, inspirée d'Apollon, de parler pour moi à travers moi, de brandir les termes de l'oracle comme des cornes, me sommant de me rendre sans armes à la vérité.

Certains, ils sont rares, savent parler en vérité. J'avoue que pour moi, par quelque infirmité de ma nature, la chose est très difficile : pourquoi parler si l'interlocuteur n'est ni disponible ni sincère, qu'il se soucie du paraître, s'il envisage le dialogue comme une rixe où la seule chose qui compte est de l'emporter, s'il ne se réfère pas au vrai mais au pouvoir ou à la montre ? A tort ou à raison j'ai le plus souvent l'impression que mon propos n'intéresse personne, et que si moi je suis curieux d'autrui, je suis semble-t-il le seul. Ce n'est guère qu'en psychanalyse que l'on peut faire l'expérience de la parole vraie, parce que ce lieu y est consacré et que le thérapeute est censé écouter, parler quelquefois et de toute manière garder le secret. Cette disposition très particulière fournit en quelque sorte un modèle : il y a de l'autre, et c'est dans ce rappport, même dissymétrique, même artificiel, qu'il existe la meilleure chance de sonder l'énigme.

En fait cet autre structurel est déjà là avant, dans la voix intérieure qui appelle, ou si l'on veut dans la Pythie, ou le surgissement d'une interpellation ; l'autre est là pendant, il parle dans ma parole, et après, bien sûr, dans ce mouvement de reconnaissance, de gratitude, où se garantit l'épreuve de vérité.

 

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