UN SEJOUR A COLLIOURE
Quelques jours à Collioure. Et quand la grisaille enténèbre jusqu'aux derniers recoins ce pauvre pays, voici, aux bords de la Méditerranée, le miracle inépuisable de la lumière. Point n'est besoin d'aller plus à l'est, aux confins de l'Ionie, ici déjà tout est là, le sourire innombrable de la mer, les flancs paisibles des collines, les oiseaux, les châteaux antiques, le vin, et je ne sais quelle douceur qui fait que la vie semble plus légère. Et ce qui nous charme aujourd'hui le lendemain se retrouve encore, et l'on pourrait imaginer un éternel recommencement, un don infini de la grâce.
Je suis arrivé là très fatigué, avec cette impression pénible d'un bout de course, lassé de ce que je faisais et de ce que j'étais. Ma politique décidée fut de ne rien faire, mais vraiment rien, hormis les occupations ordinaires, le maintien économe de la vie. Même la baignade ne sut m'attirer tant l'effort m'était honni, insupportable. Dormir, manger, siester, descendre à la plage, m'installer dans un fauteuil, commander un café, déjeuner au restaurant, rêvasser en contemplant les brisures de la lumière à la surface de l'eau, écouter les cris des goelands - parfois ils émettent de véritables plaintes, on dirait des enfants qui chuintent, gémissent, alarment tout l'entourage, ou des chats qui miaulent à vous fendre l'âme - en un mot j'étais là, attentif autant que possible, et ma seule diversion fut de lire un ou deux livres, tâtant ici ou là, sans suite ni méthode. Bref, je me suis rangé courageusement à la politique exclusive du far-niente. Et même je n'ai pas eu scrupule à refaire chaque jour exactement, ou presque, la même chose. Et s'il n'avait fallu rentrer j'aurais volontiers prolongé cette aimable incurie pour un temps indéterminé.
Ce n'était pas mon premier séjour en ce lieu. Quelques années auparavant j'y avais composé une petite suite de poèmes sous le titre "Croquis de Collioure", en souvenir de ces maîtres du fauvisme qui avaient, ici même, en 1905, aboli la dictature de la forme pour faire voir, laisser en toutes choses frémir et rayonner la lumière. C'était bien le moins que je pusse faire. Mais cette fois-ci je ne sens aucune dette, et j'entends me supporter tel que je suis.