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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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12 septembre 2016

PARENTHESE de l'ETE : journal du 12 septembre 2016

 

Ecrasé par la chaleur torride de cette fin d'été j'ai pu mesurer à quel point la pensée est dépendante du corps, des aléas météorologiques, des vapeurs et des embruns, des variations, du vent, de la sécheresse et des tempêtes. A se demander comment il fut possible aux Thalès, Héraclite et autres, de mettre en ordre leurs intuitions sous des climats si chauds, sauf à imaginer qu'en ce temps-là la température générale fût plus clémente. Il est vrai qu' Homère décrit un pays fort tempéré, peuplé de sapins et de chênes, là où la Grèce moderne offre le spectacle désolé de plaines arides, brûlées par les incendies saisonniers, où seules quelques pauvres plantes asséchées nourrissent des chèvres faméliques, accrochées aux pentes pierreuses. C'est du moins l'image que j'ai gardée de plusieurs voyages en Grèce continentale. Je revois également, à la porte d'une boutique, une vieille femme dégoulinant de sueur, gémir et souffler, en répétant sans cesse : zesti, zesti : quelle chaleur ! Sur le site de Mycènes, entre les murailles, sous un soleil infernal - car les Grecs ne se  soucient pas d'épargner le touriste, et ferment les sites à 18h - mon épouse et moi-même, nous nous traînions au bord de la consomption, et comment apprécier la beauté dans un corps pantelant ? J'ai été passablement dégoûté du tourisme : trop de contraintes, trop de fatigue, trop de désagréments, trop de déceptions, et dès lors je pratique un tourisme immobile, résolument casanier, puisant dans les livres de quoi alimenter mon imagination, frémir au son de la trompette, trancher au vif l'adversaire, faire et défaire les rois, explorer les mondes du passé et du futur, câliner les Muses et courir la prétentaine.

Hélas, même la lecture est coûteuse par temps chaud ! On transpire, on coule, on sombre, on se désagrège, on voudrait s'arracher la peau ! On se met à rêver d'un cloître au fond d'un château, sous la terre !

J'ai lu récemment plusieurs romans historiques : entre autres le Quentin Durvard de Sir Walter Scott, créateur de ce genre littéraire, fort apprécié des romantiques français, m'a inspiré une forte considération pour Louis XI, prince peu aimé, sans doute assez sinistre, mais homme d'Etat de premier plan, machiavelien avant l'heure, incorruptible, calculateur et obstiné. L'époque est épouvantable : guerres incessantes, violences, criminalité, insécurité, justice expéditive - on frémit de penser que cette situation dura si longtemps, jusqu'à la constitution d'un Etat de droit qui assurât un peu de paix civile et de sécurité. L'intérêt de l'histoire, même sous les espèces du roman historique, est de nous faire découvrir l'extrême variété et variation des conditions sociales et politiques, et nous déprendre de nos jugements inspirés par l'actualité. De même il est bon de voyager dans les romans chinois et japonais, souvent excellents. 

C'est une étrange parenthèse que l'été. Quelque chose se détraque, je me sens couler et rouler dans une sorte d'hébétude, entre le soulagement de n'avoir rien à faire et l'angoisse d'un vide sans fond. Ambivalence et insécurité intérieure. Il est vrai qu'on peut être lassé des occupations ordinaires et aspirer au repos. C'est le plaisir des premiers moments. Puis vient la chaleur, l'écrasement d'été, le désert des villes, une sorte de suspension temporelle quand tous les amis sont partis, que tout semble arrété comme  dans la Belle au bois dormant, que le temps se met à traîner comme un moribond, et alors même le désir d'écrire s'affaiblit, le tonus se relâche, le corps s'affale et s'avachit, la pensée se bloque ou tourne en cercle, l'ennui apparaît, je veux dire cette sorte d'ennui très spécial qui n'est pas le manque d'occupation, mais plus profondément une forme pâteuse de langueur, un ralentissement nauséeux de toutes les fonctions de l'esprit, et alors cette chaleur insupportable acquiert une sorte de statut métaphysique, image détestable de la condition humaine. Un enfer sans tortures ni supplices, sans tourmenteurs ni crocheteurs, simplement l'éternité d'un temps vide et immobile.

Cela aussi il faut le considérer : c'est une rude leçon d'humilité et de modestie. Cela fait partie du lot de la pensée. A le négliger, à le nier, on se privera d'une dimension essentielle de la vérité.

 

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Commentaires
G
Météorologie ! A chacun sa sensibilité propre, et sa découverte personnelle du "fait corporel", de cette première approximation du réel, car enfin le"fait" s'impose de manière indubitable : que devient la pensée quand on a très mal aux dents, quand le coeur s'affole, et que le pancréas n'est pas droit ! En tous cas, merci chers amis, pour ces témoignages météorologiques !
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S
Cher Guy,<br /> <br /> <br /> <br /> La chaleur inonde nos journées de fin d’été. Certes, elle peut-être pesante mais pour ma part elle m’incommode moins que la plupart des mortels. Peut-être parce que mon corps l’accepte et l’accueille volontiers, mes glandes sudoripares se manifestent peu : etrangeté biochimique. Le froid me paralyse davantage. <br /> <br /> <br /> <br /> Sensations…Le flux incandescent des rais de soleils s’attarde sur la peau, éclaire ses petits grains et les colore de la clarté du jour. Cette douce lumière rit à la surface des corps, tandis que la chaleur pénètre les parties internes de notre habitacle. <br /> <br /> Elle soigne souvent aussi ces petites douleurs qui se résorbent volontiers avec un réchauffement et pour le coup cher Guy, je dis haut et fort que je me sens en « sympathie thermique ».<br /> <br /> <br /> <br /> La nature dote les êtres de facultés surprenantes et surtout très inégales…pour autant et dans tous les cas, il y a toujours un revers de la médaille : j’accueille difficilement le froid. L’eau est une flamme mouillée, le soleil est peut-être un amas de gouttes séchées...allez donc "ça-voir"..
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D
Très beau texte. Je fais le pari que la sur-chaleur contraint l'organisme à une forme d'élimination qui révèle le caractère superfétatoire de la pensée, devenue parfaitement dérisoire et secondaire. Tout coule lorsque le corps transpire malgré lui, et, dans cette machine d'autorégulation, la loi de la physiologie l'emporte sur tous les processus secondaires que représente l'activité symbolique.<br /> <br /> Il serait peut-être utile de faire appel à la théorie des climats de Montesquieu. Et si toute pensée philosophique ne pouvait véritablement germer que sous un climat tempéré, ne serait-ce que pour permettre une intensification de la force ?<br /> <br /> Comment intensifier des forces sous 40° sans risquer l'effondrement ?
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