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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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19 janvier 2016

Le MOI est-il HAISSABLE ?

 

Lorsque Pascal déclare que "le moi est haïssable" il ne rend guère service à l'humanité : que diable ! De quoi disposons-nous en cette pauvre vie si ce n'est de ce moi, tout rabougri qu'il soit ! Il est vrai qu'il voulait rabaisser la superbe des hommes, exhiber leur indécrottable misère pour les ramener à Dieu. Le plaisant projet que voilà ! On ne fera jamais croire que celui qui croit déjà, qui désire de croire, et qui n'attend qu'une bonne raison, bonne ou mauvaise, pour se jeter dans le baquet. Pascal visait Montaigne : "le sot projet qu'il eut de se peindre". C'est oublier que Montaigne lui-même avait entrepris un travail de démystification de la raison humaine, non pour susciter la foi, mais par souci de vérité. Il n'avait cure de se jeter dans une mystique de l'abandon, il lui suffisait d'examiner avec lucidité la condition humaine, sans rajouter de la noirceur, se faisant une idée juste et équilibrée de ce que peut l'homme et de ce qu'il ne peut pas. Il s'émerveille sans cesse des inventions infinies, tantôt admirables, tantôt calamiteuses, d'une espèce mal lotie par la nature, et capable cependant de tant de prodiges. On songe au chant du choeur d'Antigone, qui célèbre l'inventivité humaine : "sans ressources il va son chemin sans manquer de ressources jamais".

Il est bon de dégonfler un moi prétentieux, suffisant, présomptueux, vaniteux, glorieux, ambitieux, avaricieux, mais il n'est pas bon de le réduire à néant - à supposer même que la chose soit possible : tel qui fait amende honorable, déclarant avoir sacrifié tout orgueil, va encore se glorifier de son sacrifice pour en tirer un surcroît de jouissance. On sait que le mélancolique est un expert dans ce genre de trafic : "je suis le plus misérable, le plus malheureux, le plus pitoyable des hommes " - ce qui me donne un billet d'excellence, par quoi je dépasse tous les hommes ! Essayez donc de réduire le moi, vous aurez une monstruosité de plus ! Non, décidément tous ces calculs moraux sentent le fumier. Pourquoi vouloir être ce qu'on n'est pas ?

Je pense qu'à examiner la question sous l'angle moral on ne s'en sort pas. Il vaut mieux raisonner en terme de savoir et de vérité. Il n'y a nulle honte à s'avouer ignorant, cela n'implique nulle dévaluation. C'était le projet de Montaigne : non pas dévaluer l'homme en tant que tel, mais dénoncer son opinion de savoir, sa prétention et son outrecuidance. Il n'est homme de qualité qui ne se rende facilement à un argument rationnel qui lui démontre son erreur. Celui qui se trompait et reconnaît son erreur sort grandi de la confrontation.

La spécificité de la philosophie, à l'encontre des discours moraux qui veulent amender l'homme par la condamnation et l'exhortation, réside dans cette option très spéciale de libérer les conditions de la connaissance. Spinoza disait : ni rire ni louer, mais comprendre. C'est la seule voie praticable.

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Commentaires
A
Comme il est délicat et souvent imprudent de vouloir affirmer ce que Blaise Pascal pensait vraiment sur les questions philosophiques. C'est bien plus simple en sciences (mathématiques, géométrie, et physique); et cela ne l'est pas tant que cela en "théologie".<br /> <br /> Le problème persiste, voire s'enlise, si l'on s'en tient à chercher des thèses doctrinales dans les Pensées : oeuvre inachevée, prises de note, brouillons, ébauches, développements fragmentés...<br /> <br /> <br /> <br /> Pour le moi : J'abonde dans le sens de Démocrite : ce n'est pas tant le moi que la "fascination" pour le moi qui est haïssable. D'ailleurs, chez Montaigne comme chez Pascal, y a-t-il un moi ? N'est-il pas introuvable ?<br /> <br /> <br /> <br /> Il convient de se remémorer la méthode pascalienne de la recherche du point haut, issue de sa géométrie projective. Le point haut montre la plupart des points de vue et leurs relativités puis fournit une sorte de dépassement dialectique. La critique de Montaigne s'inscrit dans cette méthode. Cf. Entretiens de M. Pascal et de M. de Sacy.<br /> <br /> <br /> <br /> En fait, il ne faut jamais oublier que Blaise Pascal est un joueur, un stratège. La main de Pascal comme l'écrivait Paul Valéry...
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O
Il me semble que tout dépend de la santé; je veux dire de l’intensité de sa présence aux objets de son imagination ou de sa pensée; la présence de l’objet, en soi, s’accompagne de la Foi en la réalité de cet objet; cette présence se manifeste disons dans l’âme, intermédiaire entre le corps et les objets de l’esprit, touchant à ces deux extrémités. Tout cela a une réalité provisoire, qui parfois se poursuit déformé dans les répercutions sociales, pour les artistes, les philosophes, ou les monstres politiques, pour un bien général, ou un mal, selon les cas.<br /> <br /> C’est ainsi que la subjectivité peur avoir des répercutions dans la société par ceux que l’on nomme les « Grand Hommes ». Un déroulement historique à partir d’eux. <br /> <br /> Mais « maintenant on sait que les civilisations aussi sont mortelles » disait à peu près Valéry.<br /> <br /> Nous n’avons pas accès à plus de vérité que cela.
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T
Vous pouvez toujours haïr le Moi, mais il reste néanmoins présent. Toujours de retour. Comment s'en déprendre ? A moins d'un travail d'ascète sur soi de mortification, d'engagement dans le renoncement. Mais qui le désir réellement ce chemin...<br /> <br /> <br /> <br /> Et le Moi, qui est - il ? Selon Lacan, une somme de préjugés, certitudes et résistances. Donc ce qui constitue l'individualité, la personnalité du sujet ? Aïe. D'où provient - il ? D'où siège t - il ? Si ce n'est dans la langue maternelle. Comment s'en défaire ? Se taire ? Retourner à un degré infra du langage ? Auprès des marmottes, des plantes et des champigons ? Utiliser des phéromones et des impulsions électriques ? Et le Soi, le Moi véritable, le Sujet ? Et s'il n'y avait en fait aucun sujet ? Ne se raconte t - on pas des histoires ? Non pas un tissu de mensonges, mais rien qu'une voix qui produit des sons dont le sens en fait échappe ?
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G
En effet, et l'on peut ajouter que le combat contre les illusions se déplace sans cesse selon les occurrences de l'histoire, tout en étant perpétuellement le même : repousser les chimères par la connaissance de la nature "vera ratione" - la mesure du vrai.
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D
Je souscris à l'esprit du texte comme aux deux commentaires précédents. Ce n'est pas le "moi" qui fait problème dans la mesure où il est une fiction imaginaire. C'est davantage le fait de le considérer comme une substance métaphysique permettant de légitimer une morale de la culpabilité.<br /> <br /> <br /> <br /> C'est pourquoi il est nécessaire, au moins dans un premier temps, de démasquer la morale, de révéler sa structure sado-masochiste par une analyse psychologique sans concession comme le fera Nietzsche.<br /> <br /> <br /> <br /> Mais plus avant, le culte du "moi" a une résonance toute particulière aujourd'hui dans l'univers capitaliste. La fiction morale s'est déplacée sur le terrain du désir mimétique et de la consommation, piégeant le sujet dans un régime de causalités extérieures aliénant. Il y a donc un enjeu éthique à penser autre chose qu'un "moi" soumis à la seule logique de la reconnaissance mimétique. <br /> <br /> L'idée du Soi apparaît ici, principe d'individuation permettant au sujet une hiérarchisation de ses forces propres afin de libérer sa puissance singulière de création. Cela ne va sans doute pas sans une certaine intuition motrice du Tout. Ici, le philosopher joue un rôle et avec lui une certaine exigence de vérité quant à la nature de ses propres désirs (Spinoza).
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