REVES BLANCS-NOIRS - LIVRE DEUX - OISEAUX
LIVRE DEUX : OISEAUX
OISEAUX : Petite suite baroque pour clavecin, flûte et viole de gambe
I OUVERTURE (Solo de flûte, basse continue en clavecin)
C'est étrange! Je n'aime plus guère les voyages, les expéditions, même littéraires. Le déplacement me fatigue et m'angoisse. Je me calfeutre sur ma terrasse, face aux grands arbres explosant de verdure, comme si toute l'énergie accumulée durant l'hiver se déversait par nappes et brumes entre les feuilles, jusqu'au grand ciel qui les absorbe. Ici je suis chez moi, loin du tapage et de la frénésie. Je m'asseois, ou je m'étends sur mon fauteuil d'été, je regarde le ciel, j'admire le mouvement lent des nuages, je goûte la variation infinie des couleurs aux franges de lumière, je m'abîme dans un océan de rêverie, je somnole quelquefois, et le merle, soudain, ou la tourterelle me tire de ma vague méditation sans objet. J'ouvre les yeux, et je vois le vert et le bleu, et le gris, et le rose, et, de-ci de-là, la mélodie d'un chant d'oiseau se transforme en couleur. De la sorte je réalise sans le vouloir ce qui touchait tant Rimbaud, la réversibilité du son et de la couleur, la vibration n'étant plus autre chose qu'une énergie neutre susceptible de toutes les métamorphoses. Un immense clavier s'ouvre sous mes doigts, et je serais pianiste que je ne pourrais souhaiter plus vaste gamme: tout est dans ces quelques notes de musique, dans ces trilles échevelées, dans le soprano lyrique d'un oiseau sur sa branche. Et le ré se fait gris clair, comme dans Mozart, le bleu du rossignol devient la grande voix dramatique, mêlée au rouge des passions, du plus bel opéra italien. Le sol brun et noir, parsemé de fleurs printanières, évoquerait bien la basse continue, avec ses subtiles et infinitésimales variations de clavecin. La couleur est musique! La musique est couleur. Moi qui ne vois guère la variété infinie des formes de la nature, elles se donnent à moi par le chant de l'oiseau!
Mon corps fatigué, mon âme souffrante trouvent ici leur consolation. La déception de la vie peut se surmonter dans le spectacle du cycle sans origine et sans fin de toutes les choses. Quelle différence, je vous prie, entre le chant du merle de l'année dernière et celui d'aujourd'hui? Les oiseaux nous entraînent sans le vouloir au sentiment de l'éternité, comme fait le soleil. Serai-je oiseau dans une autre vie? Me laissera-t-on choisir entre le destin de la mésange, de l'aigle ou du chardonneret? Je me voudrais plutôt serein et pacifique, mais je sais que les oiseaux sont d'impitoyables prédateurs. Cela aussi c'est le réel. Qui veut la vie veut la mort. C'est la leçon de l'oiseau.
LE MERLE
Merle sur le toit
Gentiment tu t'époumones
Pour notre plaisir
Pour ceux du moins qui entendent
Sans le souci d'écouter.
VOLATILE
Les ailes qui froissent
Le tissu blanc de mes rêves
Dessinent l'envol
Impromptu, insignifiant
D'un dur destin sans traces.
CHOUETTE
Naissance et mort sont identiques
Seul diverge le Temps.
CIGOGNES
O cigognes de mon enfance
Pourquoi partir si loin, si loin
Par de là les océans, les monts, les déserts
Pourquoi partir si c'est pour revenir?
Restez donc dans mon coeur
L'enfance n'a jamais de fin.
MARTINETS
Vous volez, vous nagez, virevoltez
Entre les beaux nuages
Vous piquez droit sur les toits
Rasez les murs de la grange
Jamais vous n'êtes en repos!
Ah - j'aimerais tant, ô vol oblique et zigzaguant
Avec vous seuls parcourir tout l'espace
Du ciel immense et pénétrant !
CORNEILLE
Croasse, croasse
Robe noire et long bec noir
Corneille-jésuite!
Aux âcres cris de Cassandre
Jetez-lui de l'eau bénite!
CORNEILLES
Criardes corneilles
Quoi, vous me criez à mort !
- Je veux vivre encore
Non de la vie immortelle,
Mais fier, vif, au gré du sort !
LE PINSON
Ah joli pinson
Ton nom déjà est musique
Harpe et clavecin.
Quelles cordes pincerai-je
Aux beaux jours de ton retour?
LA MESANGE
Douce messagère
Ange des bois fleurissants
Que m'annonces-tu?
Du printemps fraîche nouvelle,
De l'été la pamoison?
LA PIE
Tache blanche et trait noir
Pinceau subtil, à coups de queue
Entre les feuilles vert-d'or
Furtive, la pie
Dessine la hampe de ma chance.
PIE JACASSIERE
Vivace la pie,
Pica-pica, pique-assiette,
Nourrit ses petits.
Oiseau d'hier et de demain
C'est toujours même refrain.
NOTE : Pour m'inscrire dans la trajectoire tracée par le bon oncle Arthur je remarquerai que si la Volonté est informe et indéfinissable, elle s'exprime fort naturellement dans des Formes relativement fixes, dont les espèces animales fournissent une approximation plus que suffisante. Répétition des mêmes structures à travers le temps, jusqu'à ce qu'une Force, ou un ensemble de forces contraires les détruise, au profit de Formes nouvelles. Ainsi en alla-t-il des dinosaures et de bien d'autres espèces. L'homme lui-même n'est qu'une forme parmi d'autres, résistante certes, mais soumise aux mêmes caprices de la nature. La Forme est une objectivation temporelle de la Volonté éternelle et indestructible.
LA PIE
Elle saute, obscure
Habitante des érables
D'une branche à l'autre,
Mais lorsqu'elle se déploie
- Ah l'arc-en-ciel - blanc et noir!
C'est merveille, de mon balcon, face aux érables consumés du feu pâle d'automne, de se déprendre de toute attache, de se laisser voguer au fil de la lumière, entre le ciel grisâtre et la pelure jaunissante, vaguement porté au remuement du coeur, aux décours fluctuants des pensées, avec, par moment, la jacasserie criarde d'un couple de pies, piquant les troncs d'un bec vindicatif, sautant, et voletant, et soudain, de l'éventail déplié de leurs ailes, esquissant une roue de courtisane!
Dans la douce mélancolie de l'année finissante elles écrivent quelques lignes, noires et blanches, d'un poème à la lumière, tâchant, de leurs cris rauques, d'en appeler à la clémence des dieux, pour un hiver sans rigueur excessive, pour un printemps futur. A leur manière, fruste mais belle, elles assurent la persistance du jour dans les âpres replis de la nuit qui s'avance.
MORALE
En ce monde où tout passe
Il n'est rien d'aussi beau
Qu'un oiseau
OISEAUX : FINALE pour chant et orchestre baroque
"Qu'est-ce donc que le temps"
Demande la pieuse Tourterelle
"Pourquoi naître pour disparaître
Aimer pour se quitter?"
"Je ne sais pas" répond la Chouette
La plus sage d'entre les sages;
"Le temps qui passe sans passer
Est comme les nuages
Comme la mer, comme le vent
Comme l'éternité.