REVES BLANCS-NOIRS - Poésie 15 (Ouverture, Livre un)
REVES BLANCS-NOIRS : POESIE 15
OUVERTURE
Ma douleur, je la fais mienne, comme l’oiseau
Garde avec douceur l’oisillon dans le nid
De l’amour, pressentant dans le fragile
Essor, le vol fier du poème.
Car la douleur, au cœur blanc de la solitude,
Quand se déchire le voile d’Isis, arrache
L’âme qui sommeille, et la mène
Aux vallées de la nuit aimante
Où la mort et la vie échangent leurs accords.
LIVRE UN : REVES
1
J’ai rêvé que je n’avais plus d’âge.
Toutes les périodes de ma vie s’étaient évaporées
Emportées dans un tourbillon de sable blanc.
Blanche est ma tempe, blanche ma joue
Le passé est une mare blanche étalée derrière moi
Et le futur n’existe pas.
Je ne voudrais rien recommencer
Ni enfance, ni adolescence, ni jeunesse,
L’âge dit mûr est une coupole de suif,
Le présent sans épaisseur
Mais parfois il a un léger goût de groseille
Un peu d’acide fraîcheur, comme ces fruits
Que l’on cueillait jadis dans l’herbe bourdonnante
Une pointe d’anis, rondeur de mirabelle
L’eau de vie de mon grand-père, et l’alambic
Fumant et tressaillant de vapeurs éthyliques
Les guêpes alentour étaient saoules à vomir
J’étais le magnifique enfant tout en œil
Ivre-fou, ivre de tout, léger, mélancolique
Je croyais avoir oublié, mais les images à foison
Bourdonnent comme guêpes à mes oreilles
Faut croire que le présent n’existe
Qu’à jaillir du passé
Deus ex machina, fou du roi
Ironie d’un temps qui n’est pas du temps
Mais vif, allègre comme un arc en ciel
Tantôt visible, et tantôt non
Echarpe d’argent entre les nuages troués
Qui dessine en filigrane la fallacieuse, la captieuse
La séditieuse image
D’une introuvable identité.
2
Dans un rêve
Je l'ai rencontrée cette nuit
Pour la première fois.
Je n'en peux rien dire, voyez-vous, de Cela,
Tant la parole achoppe sur le proche
Qui hante nos profondeurs.
Saignant à vue
Il gît à terre, il geint, gigote
Ténia spasmophile, érectile,
Crachant venin,
Je veux le découper, le morceler, pulvériser,
Mais il rechigne, rampe, se distord,
S'exile,
Je le poursuis de ma rancoeur
De ma haine, mais Il
Soudain s'absente, et je n'écrase
Que l'ombre noire de ma fureur.
Je contemple écoeuré le cancrelat maussade et sanguinolent qui inspirait ma rage impuissante. Ce n'est que Cela? Mais qu'est cela, sinon le creux d'une invisible blessure, ou l'envers brûlé d'un invisible marquage?
Entre Il et Elle inventons le tiers neutre!
3
La BEAUTE
Elle est ma rose ténébreuse
Tout au fond de mon coeur
Douceur, splendeur, langueur,
Son absence est piqûre
Sa présence est piqûre,
Je voudrais la saisir, la tenir
La charmeuse, la fugueuse
Déjà elle est ailleurs
Dans le fond de mon cœur.
4
Le soir ne tombe pas
Il monte doucement de la terre
Comme vapeur
Il enveloppe dans la douce nuit
Les choses qui se décomposent
Regagnent leur demeure originelle
Dans l'impensable unicité.
C'est nous qui déchirons
Des choses qui ne sont que choses
Qui ne demandent rien
Qui sont ce qu'elles sont.