L'AMIE du PHILOSOPHE

Si le menuisier est l'ami du bois, le bois est l'ami du menuisier (Heidegger). Nous ne sommes plus dans le canevas classique et trompeur de la relation sujet-objet. Le bois n'est pas un objet de manipulation, une simple matière corvéable et transformable, une ressource anomyme et impersonnelle, mais un partenaire de création : coproduction, procréation à partir de deux principes contraires mais non opposés. Il est va ainsi dans le rapport du peintre avec sa toile, du poète avec son poème, qui toutes deux acquièrent progressivement une sorte d'autonomie, de force formatrice et régulatrice au fil de la création, proposant des possibles, imposant des limites, contribuant, inspirant et contrôlant le travail de l'artiste.

Si le philosophe est l'ami de la vérité, la vérité est l'amie du philosophe : elle agit silencieusement, ne montrant ni ne cachant, mais faisant signe vers l'horizon d'un possible. La pensée est le lieu, le milieu fécondant de cette collaboration d'amitié. La vérité peut être une amie parce qu'elle n'est pas bégueule, pas avare ni haineuse, même si elle se réserve, se voile et se tient à distance. Sans la connaître, sans intimité spéciale avec elle, nous ne sommes pas pourtant sans rapport avec elle, puisque nous pouvons la reconnaître quand elle se présente à nous. Elle est notre amie, mais nous ne le savons pas assez, nous nous en méfions, mais sans elle toute notre pensée n'est que rumination vide. C'est une amie exigeante, elle ne se laisse pas saisir, ni forcer, ni acheter. Mais à celui qui sait attendre elle réserve les plus belles surprises.