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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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14 décembre 2012

LETTRE aux AMIS

 

 

 

 

Chers amis,

 

J'apprends avec étonnement que la lecture de mes dernières chroniques vous a plongés dans l'inquiétude. Vous croyez y déceler un malaise profond, un taedium vitae, une lassitude, un dégoût de l'existence, en bref, les signes patents de la dépresssion. Votre sollicitude me touche : j'y vois la marque de l'amitié que vous me portez, s'il est clair que ce qui arrive à l'ami nous arrive, et nous affecte au plus proche. Mais aussi votre inquiétude me trouble, et m'étonne, et m'inquiète : aurais-je donc si mal écrit que l'on puisse si mal me lire? 

L'affaire n'est pas bénigne. Il faut que je m'explique pour dissoudre un malentendu qui pourraiut être lourd de conséquences. 

C'est une habitude très ordinaire de juger d'un homme selon la logique binaire qui prévaut dans nos représentations communes, elles mêmes largement déterminées par la langue : bien et mal, bon et mauvais, bien portant et mal-portant, sain et malade, juste et injuste, et tout le reste à l'avenant. C'est le principe du tiers-exclu qui nous tricotte, nous fagotte, nous ligotte à de bien pitoyables critères, au mépris de la plus banale et de la plus ordinaire expérience. Les choses ne sont jamais si tranchées, si pauvres. Entre la santé et la maladie, que de degrés, de nuances, de glissements subtils, quand la maladie n'est pas la santé elle-même, et que la santé n'est pas une forme persistante de maladie. J'en sais un bout là dessus, d'avoir connu bien des dérives, à ne plus savoir ce que les mots veulent dire.

Bref rassurez-vous, chers amis, je vais très bien!

Je crois deviner ce qui vous trouble. Je parle de me laisser glisser tout doucement au gré, vous en concluez que je glisse à la mort. Je parle des tourbillons mortifères du sansara, du dégoût du "monde", des progromes sinistres de la répétition, je dénonce l'aliénation aux prestiges fuyants du désir, la soif et la passion, vous en concluez que je hais la vie et aspire tout uniment à la mort. Je dis qu'il faut se libérer de la soif d'exister, et de ne pas exister, vous ne retenez que la première partie de l'énoncé, et pensez que je sombre dans une profonde mélancolie.

J'avoue que la position à laquelle je m'essaie est des plus difficiles à saisir : ce n'est ni l'un ni l'autre, selon une logique rarissime, à peu près inconnue en Occident, qui ne hait rien autant qu'une tierce position entre le oui et le non, qui somme tout un chacun de se ranger sous la bannière, soit de l'affirmation inconditionnelle, soit de la négation. Vous croyez en Dieu, ou vous n'y croyez pas, soit Christ, soit Antéchrist, orthodoxe ou hétérodoxe. Il n'est dans toute l'histoire occidentale que l'excellent Pyrrhon à ouvrir une saillie vers le non-catégorisable, estimant la vérité hors de nos prises de langage. "Egalement indécidables, immaîtrisables, inconnaissables sont les choses". Vous connaissez cette formule que je rabâche comme un âne, mais il n'est rien de si têtu, dit-on, qu'un âne.

Comment peut-on estimer que la juste position n'est ni la vie ni la non-vie, quand de toutes parts on prétend révérer la vie, la célébrer, la tenir pour la valeur suprême (alors que toute notre civilisation tend vers la destruction et la mort : thanatocratie), quand on prétend exécrer la mort, la refuser, la combattre de toutes les manières possibles? Cette haine et cette célébration sont les deux faces de la même médaille : ce que Bouddha appelle le sansara, la vie aliénée. Qui ne voit que la vie qu'on nous propose et impose est la mort, et que la mort que l'on refuse ouvre à une forme subtile d'existence?

Rien de mystique là dedans. Il s'agit d'accéder, autant qu'il est en nous, à une existence désaliénée, ce que répètent depuis vingt cinq siècles toutes les écoles de philosophies. Simplement elles divergent sur le sens de cette désaliénation et sur les moyens. Certaines ne sont que ridicules, nous faisant rêver de chimères transcendantes et blafardes, d'autres sont impraticables, la plupart inefficaces, quelques unes valides, et de très rares à la fois valides et sublimes. Pour faire simple, disons que j'estime fort la voie épicurienne qui mesure très exactement le tragique de l'existence et nous offre des moyens réalistes pour réaliser la vie la moins mauvaise possible ( je dis bien la moins mauvaise possible plutôt que la meilleure possible). Reste que l'épicurisme - on peut d'ailleurs l'en louer, y voir le signe d'une juste prudence - se fige sur un savoir jugé indépassable, posé comme fondement : la physis comme fondement universel. J'y consens volontiers, je l'approuve. Mais on peut aller au delà, suspecter cela même, s'abstenir de tout dogme, s"ouvrir à l'incommensurable, et comme dit Goethe, fonder sa cause sur le rien.

Le pari est de vivre d'une vie sans certitude, sans savoir autre que le non-savoir, dans l'aurore d'une indicible vérité.

Chers amis, je n'en dirai pas plus pour l'instant. Tous mes textes expriment abondamment l'affaire. Aussi ne vous inquiétez pas. Le chemin que je suis est ardu, mais passionnant, et comme dit Spinoza, "tout ce qui est beau est difficile autant que rare".

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Commentaires
A
Plus nous réagissons, plus nous nous sentons concernés.<br /> <br /> Vous êtes Maître en philosophie ! Je crois que vous pouvez aborder tous les sujets, sans que l'on porte un jugement .<br /> <br /> Ne changez pas!!!.
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O
Je pense pour ma part que vous virevoltez, plus libre que jamais, au sein des contingences ordinaires. <br /> <br /> Mais pour goûter quelque peu cette saveur légère et paisible, faut-il plonger au coeur de l'impermanence, en actualiser la vision, faire face à la peur (sans se perdre dans ‘ses peurs de'), et ainsi, laisser percer d'insubstance, le pris pour acquis du "bien vrai et bien solide" de toute chose. L’enseignement de Bouddha (sans oublier ce détonnant Pyrrhon) nous guide sur la voie…<br /> <br /> <br /> <br /> Amitiés
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