ROUTES d'EXIL : IX, X, XI, XII
IX
Où donc êtes-vous passées, routes, vous louvoyantes, quel vent dur
Vous a noyées dans les sables ? En vain
Je cherche trace de votre passage, vous êtes
Comme de l’eau, un souvenir, un rêve
Et je suis seul au milieu du désert.
- Au cœur - la cicatrice
La faille – au fond des yeux -
Que cherchons-nous, que voulons-nous
Un peu de certitude, et l’impression, la nuit
De retrouver l’enfance, et la chaleur, et l’unité.
Le jour dissipe la fumée du songe et nous sommes
Morts à demi, vifs à demi, et le désir au cœur
Dispersés sur les vagues du temps, et comme
Effeuillés, comme étonnés d’être ici plutôt qu’ailleurs
Toujours un peu ici, un peu ailleurs, et dissociés,
Désemparés. Le jour pourtant nous sollicite
Les petits riens, les grands desseins, et la vaisselle
Et le garde-manger, les affaires du monde
A la radio, et puis ce qu’il faut faire et ne pas faire
Et le plaisir de vivre malgré tout, et le désir,
Le ciel ouvert, l’oiseau sur le toit du voisin
L’incertitude d’être soi, la certitude
De la mort, entre les deux notre courage
Et notre amour –
X
Nous sommes les passagers d’un jour
Ceux qui ne restent pas, ne siègent pas
Ne prennent pas racine dans le fleuve
Et comme les oiseaux, déplacés,
Etrangers à la terre, abrupte
Et rêche et rocailleuse - chassés
De ce qui dure.
Et que nous importent les routes, et qu’importe
Le temps si nul ne manque au dernier rendez-vous.
Face au soleil
Longeant la rive et la forêt
Glissant au vif de la faille béante
Nous saluons le jour.
XI
Emportés sans merci nous filons notre trajectoire
Point d’arrêt, de point fixe
Trajectoire fatale, triviale mascarade !
Ce qui manque c’est l’élan, cet écart minimal qui infléchit, bouscule
Et tarabuste, cet éclair au milieu de la nuit !
Et l’amitié, merveilleuse oasis !
La volupté – ô l’ivresse des corps – inépuisable !
Et la parole, cet inlassable verbiage, délicieux, parmi les fleurs !
Dans la pluie monotone et funèbre, une heure de grâce, ô dieux,
Soustraite au chaos !
La transversale ! Coupez le flux, rompez, raccrochez
Arrachez à la mort ces bribes, arrachez ces instants !
C’est ici, voyageur, ton jardin, ta modeste certitude.
Dans la chute rectiligne du temps, comme arrêté, un pas de danse
Main dans la main !
XII
De biais
La salve des mots, un carrousel
Quelques amis, quelques oiseaux
Rires et balancelles.
Mais cela va tout droit, beaucoup trop vite. La vie trop vite à la mort.
Prends le temps, ami, d’un cruchon de vin vieux, d’une pipe odorante,
D’une palabre au frais des pins,
Ils courent tous à la mort. Année zéro. Demain le bitume engloutira la mer.
Prends la tangente, mon ami, laisse aller, laisse courir
Crépuscule sur la terre. Dans la lumière d’ultra-monde quelques uns
se souviennent. - Un tout petit écart,
Pour quelques uns, éternellement, l’aurore.