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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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26 mars 2009

DE l'ABSENCE du TEMPS

L'épicurisme est sans doute, en Occident, la pensée qui se soucie le moins du temps, à croire que le temps soit suspecté dans son existence même, comme soupçonné de néant. Epicure lui-même, dans sa lettre à Hérodote qui présente l'essentiel de sa physique ne lui consacre qu'un passage assez lapidaire et énigmatique, refusant au temps la qualité d'être qu'il attribue aux atomes et au vide. Le temps est simplement renvoyé à l'expérience du mouvement, du déplacement des corps, dont il faut bien parler puisque c'est une donnée de la perception, encore que le temps en lui-même ne soit pas perceptible : nous percevons une modification des corps que nous attribuons à un mystérieux "temps", dont en fait nous ne savons rien, et qui n'existe peut-être que dans notre représentation. Question de niveau : pour la pensée le temps est en fait négligeable. Il y a des mouvements incessants dans la nature, de toute éternité, qui se prolongeront indéfiniment, puisque rien ne naît et que rien ne meurt du point de vue du Tout. Bien sûr cette rose sur ma table va périr, et moi aussi : les corps, issus de rencontres et de chocs, on peut en dire qu'ils naissent et qu'ils meurent, comme le nuage dans le ciel. L'avant, le pendant et l'après concernent tel corps parmi les corps, qui tous sont impermanents, comme formes périssables d'un Tout qui n'augmente ni ne diminue, sans quoi il retournerait dans un néant dont on voit mal qu'il ait pu sortir. Principe d'isonomie : "éternellement les mêmes sont les choses" ce qui veut dire que le réel en tant que tel est toujours le même quelles que soient les formes variables et diverses sous lesquelles elles nous apparaissent. C'est là le principe qui constitue le socle à la fois épistémologique et éthique de l'épicurisme. Il n' y a que des variations, que des brassages, des chocs, des oc-casions, des rencontres et des séparations, et la somme insommable de ces mouvements constitue ce qu'on appelle le Tout. Nulle permanence transcendante qui embrasserait l'impermanence des choses. L'impermanence de toutes les choses constitue la permanace infiniment mobile et ouverte du Tout. Le tout n'est pas en dehors des choses, les choses ne sont pas en dehors du Tout, mais la permanence du tout est la vérité secrète mais pensable de l'impermanence généralisée. Feuiile de printemps, feuille d'automne, elle vit, elle meurt, jusqu'au prochain printemps, prochain automne. Homère déjà enseignait cette maxime dont Pyrrhon fera son régal : "Comme est la nature des feuilles ainsi en est-il des hommes". Dans ces conditions que faut-il penser du temps?

Isonomie universelle, isonomie des plaisirs. Aucun plaisir n'est extensible à l'infini. Il est vain d'accumuler, car sitôt la satiété atteinte, on ne peut en rien augmenter la qualité du plaisir. On peut à ce niveau parler d'une expérience subjective du temps : le temps serait la douleur de l'attente, de la privation et de la faim. Sitôt la satisfaction obtenue ce temps-là s'évanouit instantanément. Avec la fin de la tension apparaït la fin du temps : il n' y a rien à faire de plus. La "finalité" de la vie est atteinte, sa loi totalement remplie, ce qu'Epicure exprime dans la célèbre phrase : " Le plaisir est le début et la fin de la vie heureuse". La vie heureuse a supprimé le temps, du moins sous la forme de l'attente pénible, de la passion creuse et des illusions de la jouissance. On sait bien que la faim reviendra (loi de nature) mais la satisfaction tout aussi bien puisque les objets du besoin ne sont pas difficiles à trouver - seuls introuvables et funestes sont les objets de la passion-. De la sorte le sage peut créer une sorte d'isomorphisme de la vie : des alternances , certes, de manque et de satiété, mais selon une variable faible - on songe au principe de constance dont Freud parlera plus tard - équilibre relativement satisfaisant des moments de manque et de satisfaction, variation faible, douce comme un mouvement de brise, loin des orages frénétiques, des bourrasques et des sinistres carences passionnelles. " Suave mari magno turbantibus aequora ventis" : loin des orages et des fausses accalmies de l'océan indomptable gagner les lieux paisibles des sages...

Ainsi faut-il entendre la satisfaction, (ou plutôt le contentement?) de l'épicurien. Il a le savoir des rythmes naturels : saisons, nuit et jour, alternance de la lumière et de l'ombre, de la douleur et du plaisir, de la maladie et de la santé. Il réduira autant que se peut les écarts : discipline douce, souple et ferme du corps, expérimentation de la patience et de la tempérance, et plus que tout sans doute, assouplissement de la pensée, défixation, détournement subtil des faux plaisirs et des fallacieux désirs, exercice mental, compréhension des lois de nature. Mise à distance de la problématique du temps : le temps n'apporte rien de plus que ce qu'il a jamais apporté, à supposer qu'il soit réel et qu'il ait jamais apporté quelque chose. Plus exactement : se défaire de cette illusion que les lois de la vie puissent changer, que le printemps s'éternalise, que le froid disparaisse à jamais, avec la pluie et la neige, que les hommes deviennent soudain collectivement sages, qu'une vie nous attende après la mort etc. En bref, dans une seconde, n'importe laquelle, tout le secret de l'univers est voilé et dévoilé : tout est donné, et pour toujours. Seul notre appétit semble illimité, et du coup notre malheur sous les espèces du temps.

La pensée a cette capacité de constituer, par delà les alternances, un continuum de plaisir. Se souvenir du bien dans la peine réduit la peine. Conserver la jeunesse d'esprit repousse les grisailles de l'âge. Vieillir nous soulage de beaucoup de désirs vains et pénibles, adoucit et tempère les émotions. Du moins chez qui la philosophie accomplit l'oeuvre de la pensée. Aussi faut-il "s'entraîner nuit et jour". Pensée du plaisir, plaisir de la pensée.

Dans la plénitude de l'instant méditatif nous pouvons comprendre d'un coup que toutes nos tentatives sont vaines pour sortir de la condition où nous sommes, qui est celle de tous les vivants, et par extension de toutes les "choses" de l'immense univers. C'est alors que nous goûtons non pas l'éternité, mais une suspension de la temporalité qui nous égale aux dieux : "vivre comme un dieu parmi les hommes". -  insistons : "comme", simplement comme, ce qui relie bien sûr, et nous en en sépare à jamais.

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Commentaires
G
je comprends assez bien le désarroi de celui qui écrit pour expliquer une idée personnelle : l'idée est comme hors-temps, donnée dans une fulgurance, mais pour écrire ou parler il faut accepter d'entrer dans la linéarité du discours en utilisant des concepts qu'il faudrait expliquer un à un, ce qui est quasi impossible. Pour la moindre idée il faudrait un livre pour être vraiment compréhensible. Et encore... Pour ce qui est du Tout je ne l'entends pas comme un ensemble structuré, unitaire et centré à la manière des Stoïciens. Pour moi le tout est une notion purement nominale : l'ensemble arithmétique de toutes les choses composant les milliards d'univers, sans doute dans l'infini du temps et de l'espace, qui du coup deviennent des concepts purement relatifs à notre connaissance humaine et limitée. Lucrèce parlait fort justement de la somme insommable de toutes les réalités existantes composant l'immense univers infini. De ce tout nous ne savons rien et ne pouvons rien savoir. Mais je m'obstine à penser que ce référent, même inconnaissable, est nécessaire à une plus juste vision des choses. Nous borner à notre vision actuelle me semble une erreur de jugement. Ce tout peut aussi s'appeler "nature" mais le terme est trop surchargé pour être utilisable. Pour moi tout est nature, il n'en est qu'une seule, et nous en faisons partie, quoi que nous fassions. Cette idée , évidente pour les Grecs, mais perdue par le christianisme, reconquiert à nouveau une certaine pertinence. GK
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C
Évidemment nos trajectoires sont différentes, et ma connaissance de la métaphysique bien sommaire, ou trop indirecte, ce qui peut donner l'impression que nous ne sommes pas sur le même plan. Mon espoir est pourtant de voir ces plans communiquer, et il est exact qu'ici, j'ai échoué.<br /> <br /> L'emploi de l'expression "flèche du temps", venue de la science, induit en effet une linéarité apparente, et si l'on veut "sociale", dans le sens de mise en commun qui suppose un lieu commun de référence. Ce n'est pas mon propos.<br /> <br /> La question de causalité comme socle du temps n'induit pas cette linéarité. Elle peut au contraire porter à une perception d'un temps multiple et éclaté. L'irréversibilité est une relation, non un chemin, même si elle peut y donner naissance.<br /> <br /> Mais là n'est pas l'essentiel. Ce qui me pose problème, c'est ce "Tout". Tu prends bien soin de le distinguer de toute transcendance, mais d'une manière qui pour moi fait écho au vertige d'anciennes mystiques non-monothéistes qui jouent un rôle essentiel dans l'histoire de la conscience imaginaire que j'essaie d'écrire. Eux aussi étaient à la recherche de l'impensable. <br /> Et tu partages avec eux, à mes yeux, la même erreur d'optique lorsque tu parles du Tout, alors même que tu y échappes quand tu parles de la vérité dans une seconde. <br /> Il s'est produit un glissement dans la pensée humaine, lorsque des sociétés premières vénérant l'unique, l'anormal, l'événement ou l'être singulier, on est passé à des sociétés centralisées, pratiquant une mythologie où l'unique s'est transformé en Un. <br /> Le véritable paradoxe n'est pas d'opposer la partie au "tout", pour moi ce terme est privé de sens autre que pratique, mais de poser le face-à-face entre le singulier et le multiple. C'est ce dernier qui, à la limite pourrait être qualifier de "Tout", mais alors en prenant conscience que c'est ce "tout" qui est impermanence et porteur de temps, et le singulier seul qui tient en lui la permanence et la négation du temps. C'est par une projection de l'un sur l'autre qu'on est venu à inverser leurs propriétés.<br /> <br /> Le Réel ne sera jamais toujours le réel comme "tout". Seulement comme unique, comme singulier.<br /> En posant comme argument qu'il ne peut ni augmenter ni diminuer, c'est là que tu introduis une "mesure" porteuse de linéarité. Il n'augmente ni ne diminue, non parce qu'il est toujours le même, mais parce qu'il échappe à toute mesure. Il y échappe, parce qu'il est multiple: la mesure suppose le rapport du même au même, une fiction socialement nécessaire, mais qui n'existe ni dans le multiple ni dans le singulier.<br /> <br /> <br /> Tout cela est confus, j'en conviens. D'abord parce que je cherche toujours, ensuite parce que je n'ai pas assez pris soin de développer ma propre démarche, derrière l'objet de l'étude qui est au centre d'"Imaginales". <br /> <br /> Le même problème s'est posé pour moi dans la discussion qui se déroule là, et je vais d'ici peu tenter d'y remédier. <br /> <br /> Il y a à mon sens d'autres étranges croisements entre ce qui se dit ici et là-bas. Nous venons d'aborder la question de la linéarité, vis-à-vis de la quête, et la question du "Point sublime" d'André Breton est pour moi liée à celle de ce Tout ici abordé.<br /> <br /> Il n'y a sans doute que moi pour établir de telles correspondances, mais ce sont justement les étincelles jaillies de tels croisements improbables qui m'ont fait avancer.<br /> <br /> Je vais donc essayer, d'ici peu d'éclaircir tout cela.<br /> <br /> Ce qui m'évitera peut-être de poster des commentaires si longs! :)
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G
Nous ne parlons pas de la même chose. Tu te situes, fort légitimement d'ailleurs, sur le plan empirique du temps social et du temps vécu comme linéarité ( chronologie , temporalité, causalité) je me situais sur un plan métaphysique, essayant de penser comment le Tout était synonyme de non-temps, dans cet "in-stans" où le Tout lui-même est toujours égal à soi, toujours complet absolument. Pour nous le temps est manque ou accomplissement.(loi du désir) Pour le TouT (spéculativement bien sûr) le temps disparaît ou se dissout dans l'impensable. Mais on peut fort bien vivre sans se soucier de ces choses...
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C
Le temps comme attente, oh oui. Mais qu'elle est belle, l'attente. Plutôt que de nier le temps, ne faut-il au contraire apprendre à en jouir?<br /> D'autre part, il est un autre fondement au temps: la causalité. L'effet suit la cause, et introduit ainsi un rapport temporel, un sens irréversible, la "flèche du temps" sans laquelle tout compréhension du monde et tout acte ne pourrait être.
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